Le petit ramoneur est devenu l'emblème joyeux et coquin des Pays de Savoie.
ET POURTANT :
La belle saison - c'est une façon de parler - leurs parents les louent à des paysans à peine plus fortunés qu'eux. Ils sont bergers, valets de ferme, coupent du bois à longueur de journée pour les fabriquants de charbon de bois. S'ils restent chez eux, c'est pour aider au travail de la terre particulièrement pénible en ces régions montagneuses.
Mais avec les premières neige d'octobre, un frémissement de joie et d'impatience agite les petits savoyards, qui se regroupent par centaines sur les places des villages et se préparent pour la grande migration...
En effet, quand arrive la mauvaise saison et que tout travail est rendu impossible dans la vallée de la Maurienne, c'est à des maîtres ramoneurs cette fois que les parents louent leurs enfants. Le ramonage est mal payé, contre un modeste pécule qu'ils ne toucheront qu'à leur retour, parfois simplement en échange d'une paire de chaussures neuves, les enfants s'en vont pour six mois sur les routes ramoner les cheminées.
Départ le jour de la Saint-Gras et retour lannée suivante, à la belle saison. Dès 6 ans, les enfants sillonnaient à pied les routes de France, avec le maître ramoneur qui les a enrôlés...
Cheminées qui se ramonent avec un hérisson, mais plus souvent de l'intérieur, où l'on grimpe à la force des genoux et des coudes, et que l'on nettoie à l'aide d'une raclette, le bonnet de laine rabattu sur le nez et la bouche pour ne pas étouffer. Pour les conduits les plus étroits, il n'est pas rare qu'on fasse appel à des enfants de moins de six ans.Ils ramonaient mais ils pouvaient aussi grimper à lintérieur du conduit de cheminée
pour la racler. En arrivant en haut, ils criaient « Haut en bas ! ». Une
échelle de 2 mètres leur permettait daccéder à l'ouverture en bas de la
cheminée. La suie, récupérée dans des sacs, était revendue à des usines.
Le maître ramoneur imposait 14 heures de travail par jour toute la semaine. Sils voulaient aller à la
messe le dimanche, ils devaient en acheter ce droit à leur patron. Les maîtres ramoneurs
étaient, la plupart du temps, danciens ramoneurs trop grands pour grimper dans les
cheminées et se trouvaient responsables dune équipe de 3 à 6 enfants, appelés
« Farias ». Tous travaillaient pour un patron.
Largent récolté, était récupéré intégralement par le maître ramoneur. Et souvent, il
battait les enfants pour prendre aussi leurs pourboires. Il était chargé de fournir des
vêtements neufs, de leur donner un logement, une paire de chaussures et le matériel de
travail. Quand ils rentraient, en mai, le maître reversait aux familles une somme
d'argent, équivalente au prix dun veau.
Malheureusement, il arrivait que les petits ramoneurs meurent de froid ou la tête fracassée lors d'une chute.
Fréquemment, ils contractaient des maladies respiratoires et devenaient allergiques ou aveugles à cause de la suie.
Ces enfants sont des enfants-esclaves. Il n'empêche. C'est l'âme vaillante, et le coeur empli d'espoir que les petits ramoneurs Savoyards partent en croisade vers la France. Et parfois plus loin, jusqu'en Belgique, en Allemagne; quand la concurrence acharnée que leur livrent les petits ramoneurs du Piémont et d'Auvergne leur ôte le pain de la bouche. C'est à dire la suie.
Le travail est dur. Les maîtres intraitables.
Sur la route ils sont soumis à mille tracasseries administratives : interdiction de mendier en jouant les saltimbanques, quand ils ne trouvent pas de travail; interdiction de dormir dans les lieux publics, etc. Quelques uns ne survivent pas aux privations.
Pourtant chaque année ils attendent l'arrivée des premières neiges pour s'envoler à nouveau vers la France.
C'est que la route a sa magie. Rien n'est plus fort que l'appel du voyage, une fois qu'on y a goûté. Rien n'est plus fort que le rêve.
Ils sont courageux ces enfants qui marchent pieds-nus sur le bas côté des routes pour économiser leurs chaussures, et parcourent des étapes de 40 à 50 km par jour. Ils sont gais quand ils chantent leurs chansons entraînantes au son du pipeau et de la vielle. Ils sont tristes aussi quand ils pensent à leur mère restée au pays. Ils sont tout simplement beaux, ces petits ramoneurs savoyards.
Pour finir, les lois françaises de 1874 et de 1892, relatives à lemploi des enfants, découragèrent les maîtres ramoneurs à employer tous ces pauvres enfants en bas âge et les obligèrent à changer leurs méthodes de travail.
Avec eux ont disparu ces migrations savoyardes, qui néanmoins survécurent quelques temps encore de lautre
côté des Alpes, chez nos voisins Piémontais.