SAVOIE (Patrimoine Historique)


 

LA SAVOIE

Qu’est-ce que la Savoie ?

Le terme de Savoie est considéré généralement comme venant de Sapaudia, mentionné à la fin du IV° siècle dans l’Histoire d’Ammien Marcellin puis au V° siècle dans la Notitia Dignitatum et la Chronica Gallica. Encore faut-il en déterminer le sens: est-ce un nom d’homme dénommé Sapaudus complètement ignoré par ailleurs alors ne serait-ce pas plutôt une allusion aux sapins (sapins) recouvrant symboliquement tout le pays ?

Un document carolingien mentionne au IX° siècle la Saboïa ( qui n’apparaît recouvrir que la combe de Savoie) et il faut attendre le XII° siècle pour trouver le titre de Comes Sabaudiae, la Sabaudia ( ou Sabauda) étant alors considérée comme le domaine de la nouvelle famille princière qui prend progressivement ce nom comme appellation patronymique.

La Savoie peut donc être vue au sens large ( Sabauda en Italien) comme tout l’Etat dominé et géré par cette famille du même nom, c’est à dire l’ensemble des "pays"s’étendant de la Bresse au Canavese, de l’actuel canton de Vaud au pays niçois, territoire qui prit le nom de royaume de Sardaigne lorsque le duc Victor-Amédée II reçut en 1712-1723 le titre royal attaché à l’île ( la Savoie, terre d’Empire, ne pouvant devenir un royaume même symbolique).

Au sens restreint , la Savoie ( Savoja en Italien) est le comté limité au nord par le lac de Genève et à l’est par la crête des Alpes puis (dès 1601) à l’ouest par le Rhône, ensemble plus provincial devenu duché en 1413 et considéré comme le foyer historique de la puissance des comtes puis des ducs du même nom.

Les départements actuels de la Savoie et de la Haute-Savoie en France correspondent :

  • en 1416, lors de l'érection du duché de Savoie, aux bailliages de Chablais, Faucigny, Genevois et Savoie (avec la Tarentaise et la Maurienne) ;
  • de 1718 à 1792, dans le royaume sarde, au duché de Savoie avec les intendances de Chablais, Faucigny, Carouge (1780), Genevois, Savoie propre, Tarentaise et Maurienne ;
  • de 1818 à 1860, au sein du royaume de Piémont-Sardaigne, au duché de Savoie avec les provinces de Chablais, Faucigny, Carouge (jusqu'en 1837), Genevois, Haute-Savoie, Savoie propre, Tarentaise et Maurienne.

Le royaume de Sardaigne s’appela progressivement (et de fait) royaume de Piémont-Sardaigne avant de devenir en 1860 le royaume d’Italie au prix de la cession des anciens comté de Nice et duché de Savoie à la France, dernières provinces entrées dans le giron français. Pour respecter la tradition, l’empereur Napoléon ne voulut pas changer les noms anciens préférant appeler Savoie le département sur la partie sud du duché et Haute-Savoie celui de la partie nord ( pudeur que n’avaient pas respectée les gouvernements révolutionnaires qui avaient appelé le département Savoie du Mont-Blanc en 1792 puis lors du partage de celui-ci en 1798 Léman la partie nord réunie à Genève alors annexée à la France.

De nos jours des propositions ont été faites pour de nouveaux noms : Savoie-Vanoise pour le département du sud et Savoie-Mont-Blanc ou Savoie-Léman pour son voisin du nord mais aucune décision n’a été retenue jusqu’à maintenant.

Les habitants du duché s’appellent Savoyards ou Savoisiens, le premier terme s’appliquant surtout d’un point de vue géographique alors que le second fait plutôt référence à l’aspect politique ( la Savoie du nord l’utilise comme nom courant alors que celle du sud préfère l’utiliser en adjectif).
Il est à remarquer que comme tous les mots en ard, savoyard a pu être considéré comme péjoratif d’où un certain complexe d’infériorité chez certaines populations locales qui préférèrent l’appellation de Savoyens connue des intellectuels mais qui n’a jamais pu s’imposer dans l’opinion courante.

LA SAVOIE A L'EPOQUE ROMAINE
DU ROYAUME BURGONDE A CELUI DE BOURGOGNE
AU MOYEN-AGE, 1032-1536
LA REVOLUTION EN SAVOIE : 1792-1799
SOUS LE PREMIER EMPIRE
LA PERIODE SARDE : de 1815 à 1860
LES CARTES HISTORIQUES
LA MONNAIE
LA HAUTE SAVOIE
LA SAVOIE
L'ELEVAGE BOVIN
LA MAPPE SARDE




LA SAVOIE A L'EPOQUE ROMAINE

Résumé historique
Les régions antiques qui couvrent la Savoie actuelle ne formaient pas une entité unique. Pour sa partie septentrionale et occidentale, elles appartenaient à l’un des peuples gaulois majeurs du Sud Est de la Gaule, les Allobroges, tandis que la partie orientale de la Savoie était le domaine des Ceutrons (la Tarentaise actuelle) et des Médulles (la Maurienne actuelle). Leur entrée dans la domination romaine commence à la fin du IIe siècle avant notre ère. La conquête (1) du territoire des Allobroges par les Romains se fit en plusieurs étapes entre 121 et 61 avant J.-C., date à partir de laquelle ce peuple accepta de se soumettre définitivement à Rome et lui témoigna une indéfectible fidélité.

L’organisation du territoire
Dans l’Antiquité, les habitants de la Savoie se répartissaient en trois unités administratives distinctes :

  • la cité de Vienne qui regroupait les Allobroges,
  • la province des Alpes Graies/Atréctiennes, terre des Ceutrons,
  • la province des Alpes cottiennes, avec Suse (Segusio) pour capitale.
Située en gros entre le Rhône, le Vercors, les massifs de Belledonne et du Beaufortin, la cité de Vienne fut organisée en deux étapes.

Entre 46 et 36 avant J.-C., elle reçut le statut de colonie latine. Elle bénéficiait d’une certaine autonomie administrative avec un conseil des décurions et un collège de quatre membres chargés de dire le droit, les IIII uiri iure dicundo. L’épigraphie de la Savoie atteste l’existence de magistrats, de la première constitution de Vienne, appelés à siéger au chef-lieu de la cité. Caius Passerius Afer, dont le nom apparaît sur un texte mutilé de Frangy, quattuoruir iure dicundo, propriétaire terrien dans cette région de la Haute-Savoie et le quattuorvir Sextus Decidius [---], à Saint-Alban-Leysse appartiennent à cette époque.

Puis, vraisemblablement en 39-40 après J.-C., la cité fut élevée au rang de colonie romaine honoraire. Ses habitants libres obtinrent alors le droit de cité romaine. Le territoire fut non seulement administré par un conseil des décurions, mais aussi par trois collèges principaux de magistrats : les II uiri iure dicundo (duumvirs pour dire le droit), les II uiri aerarii (duumvirs chargés du trésor), et les III uiri locorum publicorum persequendorum (triumvirs chargés de la surveillance et de l’entretien des lieux publics). L’épigraphie de la Haute-Savoie a fourni quatre duouiri iure dicundo, à Annecy, à Allinges, à Passy (deux textes). À Passy et à Seyssel, sont mentionnés, deux duouiri iure dicundo qui furent également triumuiri locorum publicorum persequendorum. Si Aulus Isugius Vaturus, Lucius Vibius Vestinus et Marcus Arrius Gemellus doivent être considérés comme des visiteurs du sanctuaire de Mars à Passy, on pense que les trois autres personnages devaient résider sur place, sur leurs domaines, et se rendre à Vienne pour y exercer périodiquement leur fonction municipale.

Quatre duouiri iure dicundo doivent être cités en Savoie, à Montmélian, à Grésy-sur-Isère, à Albertville, peut-être à Notre-Dame-des-Millières (texte perdu). - Deux duumuiri aerarium, peut-être apparentés, doivent être encore mentionnés à Fréterive. - Un quaestor n(ummorum) p(ublicorum) apparaît à Passy, poste que l’on doit rapprocher de celui de quaestor rei publicae.

Une inscription de Douvaine mentionne D(ecimus) Iul(ius) Capito, probablement à identifier avec un personnage homonyme attesté par trois inscriptions de Vienne et une de Genève, qui parcourut une carrière mixte, municipale à Vienne et équestre jusqu’à la procuratèle ducénaire d’Asturie et Galice à la fin du règne de Trajan.

Au lendemain de la " crise " qui frappa l’Empire au IIIe siècle, la réorganisation administrative voulue par Dioclétien (284-305) eut des répercussions dans la cité de Vienne. Ainsi fut créée la province de Viennoise et les deux agglomérations de Genève et de Grenoble furent élevées au rang de cité de plein exercice. Le territoire de la cité de Genève, par exemple, engloba alors la plus grande partie de la Haute-Savoie, tandis que la partie méridionale de la Savoie fut affectée à la cité de Grenoble. À cette réforme, il est possible de rattacher l’érection d’un certain nombre de bornes milliaires sous la tétrarchie et à l’époque constantinienne, dont les distances sont comptées depuis Genève.

A l’intérieur de la cité de Vienne existait une administration locale de districts, appelés pagi et d’agglomérations secondaires, les uici. Le pagus, héritier de la circonscription tribale gauloise, répondait à une unité territoriale utilisée par l’administration romaine pour effectuer les opérations du cens et la perception de l’impôt.

On a conservé le souvenir de cinq pagi, trois situés en Savoie (pagus Dia(nensis ou -nae), pagus Apollin(is ou -ensis), pagus Vale(---)). Deux pagi sont signalés en Isère (pagus Oct(---), pagus Atius ?). Ils avaient à leur tête des préfets (praefecti) nommés par l’administration municipale de Vienne.

Aux agglomérations secondaires doit être réservé le terme de uicus. Ce sont le uicus Albinensium, le uicus Se(---), celui d’Annecy, sur un texte fragmentaire de Meythet qui mentionne des uicani Bo[utarum]), le uicus Augustanorum, le uicus Cularonensis, le uicus Genauensium, le uicus Rep(---) non localisé (près de Vienne).

Bien que riches en témoignages archéologiques, des centres comme Seyssel (Condate) et Faverges (Casuaria) ne sont que des étapes sur des itinéraires routiers (Itinéraire d’Antonin, 347 ; Table de Peutinger, II, 1). D’autres petites agglomérations, Annemasse (Adnamatia), Thonon (nom antique inconnu), Thyez dans la vallée de l’Arve ou Rumilly, n’ont pas fourni d’indications épigraphiques sur leur statut.

La partie orientale des départements de la Savoie et de la Haute-Savoie relevait de deux structures différentes.

Avant la conquête romaine, les Ceutrons occupaient la vallée de l’Arly à l’est de la chaîne des Aravis et le cours supérieur de l’Arve, la vallée du Doron de Beaufort, la Tarentaise et les deux versants du col du Petit-Saint-Bernard. Après une période de protectorat qui leur assurait une certaine autonomie, Auguste annexa leur territoire qu’il plaça sous contrôle militaire. Sous le règne de Claude ou de Néron, les districts alpins furent transformés en provinces impériales équestres et le territoire des Ceutrons devint la province des Alpes Graies, avec pour capitale Axima (Aime), devenue Forum Claudii Ceutronum). Les habitants de la province reçurent le droit latin.

Au Ier siècle de notre ère, l’épigraphie atteste que les relations entre les Allobroges et les Ceutrons furent souvent conflictuelles. Pour cette raison, fut entrepris une opération de bornage, attestée par des bornes et par l’épigraphie, affectant les vallées et les piémonts à la cité de Vienne, et aux Ceutrons la montagne.

À l’extrême fin du Ier siècle ou au début du IIe siècle, Les Alpes Graies changèrent de nom, pour adopter celui d’Alpes Atréctiennes. Peut-être au début du règne de Septime Sévère, les deux provinces procuratoriennes des Alpes Atréctiennes-Graies et des Alpes Poenines (Valais suisse), furent regroupées en une seule entité administrative. Au IVe siècle, Moutiers (Darantasia) se substitua à Aime pour devenir la capitale des deux provinces unifiées et, au siècle suivant, elle fut le siège d’un évêché.

La Maurienne, habitée par les Médulles et les Graiocèles, quant à elle, était au début du Ier siècle avant J.-C. sous l’autorité de Cottius Ier, fils de Donnus, roi de la région de Suse (Segusio) et citoyen romain, qui contrôlait le col du Mont-Genèvre. À la mort de Cottius II, sous le règne de Néron, le royaume fut transformé en province procuratorienne, les Alpes cottiennes, gouvernée par un chevalier et les habitants reçurent le droit latin. Cette province conserva ses limites jusqu’à la fin de l’Antiquité. Créé aux environs de 574 par Gontran, roi de Bourgogne, l’évêché de Maurienne, qui recouvrait pour l’essentiel le territoire de la province, dépendait alors de Turin. Mais du VIe au XIe siècle, son siège fut installé à Saint-Jean-de-Maurienne.

Le réseau routier antique s’est développé à partir d’itinéraires protohistoriques qui reliaient les Allobroges à leurs voisins et, à l’époque romaine, en raison du rayonnement de Vienne, chef-lieu de la cité. À ces vieux itinéraires, au moins celtiques, sinon antérieurs, qui irriguent le territoire viennois, s’ajoutent les constructions nouvelles ou les aménagements réalisés par les Romains.

On distingue deux axes protohistoriques principaux :
- La voie qui reliait Vienne à Augusta Praetoria (Aoste) par Bergusium (Bourgoin), Augustum (Aoste, Isère), la chaîne de l’Épine, Lemincum (Chambéry), la combe de Savoie, la Tarentaise et le col du Petit-Saint-Bernard.
- La voie qui, venant d’Aoste (Isère), gagnait Seyssel (Haute-Savoie), remontait la rive gauche du Rhône, puis empruntait la rive sud du Lac Léman pour rejoindre le Valais.

L’Empire, qui avait besoin d’axes de circulation reliant commodément l’Italie à la Gaule, et par delà les vallées alpines, l’Italie aux Germanies et au limes rhéno-danubien, a favorisé la construction de voies nouvelles ou la réfection de celles plus anciennes pour faciliter la circulation des marchandises et des hommes (commerçants, fonctionnaires, soldats).

On distingue la voie Vienne-Augusta Praetoria par Augustum (Aoste), la vallée de l’Isère et le col du Petit-Saint-Bernard. Son tracé entre Aoste et Chambéry est incertain car on ne sait où situer la station de Labisco (Les Échelles ou Lépin-le-Lac), donnée par la Table de Peutinger et l’Itinéraire d Antonin. En revanche, de Chambéry au col du Petit-Saint-Bernard son tracé est bien attesté dans la combe de Savoie et la Tarentaise.

Une autre voie partait de Vienne pour rejoindre Augusta Praetoria (Aoste) par Cularo (Grenoble), la vallée de l’Isère, Montmélian, ad Publicanos, la vallée de la Tarentaise et le col du Petit-Saint-Bernard.

Viennent ensuite les voies reliant Vienne aux principaux centres de la cité. Ainsi la voie Vienne-Genève emprunte le tracé par Augustum (Aoste), puis se dirige vers le nord en suivant la rive gauche du Rhône. Selon la Table de Peutinger, sont attestées les étapes d’Etanna (Étain ou Yenne ?) et de Condate (Seyssel). De là, elle rejoignait Quadruuium (Carouge) et Genève.

Des voies secondaires quadrillent tout particulièrement l’est de la cité de Vienne et donc la Savoie. On distingue
- la transversale Genève-ad Publicanos et le col du Petit-Saint-Bernard par Annecy (Boutae) et Faverges (Casuaria), stations attestées par l’Itinéraire d’Antonin.
- de la voie d’Aix-les-Bains (Aquae) à Seyssel (Condate) par l’Albanais (uicus Albinnensium) et les gorges du Fier, où subsistent des vestiges significatifs de la voie taillée dans le rocher.
- la voie d’Annecy (Boutae) à Aix-les-Bains (Aquae) par Gruffy.
- la voie de l’Arve qui, depuis Genève, gagnait le Valais et le col du Grand-Saint-Bernard. En raison des crues violentes du torrent qui ont bouleversé ses rives depuis l’Antiquité, elle empruntait certainement la rive droite jusqu’à Passy, puis peut-être la rive gauche pour gagner la partie supérieure de la vallée, le col des Montets, la vallée du Trient et Martigny dans le Valais suisse, et, au-delà, le col du Grand-Saint-Bernard.
- la voie au sud du lac Léman, avec une bretelle, construite à l’époque de Dioclétien, empruntant la vallée de la Dranse d’Abondance pour gagner le Pas-de-Morgins et rejoindre Tarnaiae (Massongex) et Forum Claudii Valensium (Martigny).

Aucune activité économique n’est bien spécifique à la Savoie dans l’Antiquité. Bien que l’épigraphie soit fort avare de renseignements sur la vie économique, l’archéologie, depuis quelques années, apporte des informations précieuses sur la mise en valeur de la région.

Pour ce qui est des ressources naturelles, il faut noter que les montagnes de la Savoie sont peu riches en gisement métalliques, excepté en Tarentaise, et en Haute-Savoie (Passy). En revanche, des carrières de la Savoie est extrait un matériau de construction, le calcaire, utilisé non seulement dans cette région, mais également acheminé vers Lyon ou vers Genève, par voie d’eau et par voie terrestre (par ex., carrière de Franclens, au nord de Seyssel, marbre de Villette en Tarentaise).

Au plan agricole, la production locale a trouvé des débouchés à Genève, Vienne et Lyon. Ainsi que l’indiquent des auteurs comme Pline l’Ancien et Vitruve, la forêt a été exploitée pour les essences utiles au chauffage et à la construction. Dès le Ier siècle de notre ère, est développée la culture de la vigne, illustrée par le fameux cépage, évoqué par Pline, la uitis allobrogica picata. Une inscription d’Aix-les-Bains, qui évoque le don d’un bois sacré et d’un vignoble, confirme la prééminence de cette culture (AE, 1934, 165).

Les restes archéologiques de meules et d’outils viennent démontrer l’existence d’une culture céréalière, le fameux " blé de trois mois " connu dans toutes les Alpes (Pline, HN 18, 12) et les dépotoirs antiques, avec la présence de noyaux de fruits, révèlent la culture de nombreux arbres fruitiers. De même, dans les alpages, est développée une économie de montagne fondée sur l’élevage et la production de fromage (Pline, HN 11, 97).

Grâce à l’archéologie, qui a mis au jour de nombreux dépôts de scories (région du Salève, Annecy, ateliers de production de fibules à Faverges), sont attestés les métiers de la fonderies et de la forge qui visaient l’autosuffisance.

Même si une partie du trafic se fait par le Rhône, le développement du réseau routier est responsable de l’accroissement du trafic.
- Sur le plan local, le commerce des matériaux de construction accompagne celui des briques et des tuiles (production d’Arcine, de Bredannaz, de Bellecombe en Tarentaise).
- Au plan des exportations, à côté des matériaux de construction et du bois, par flottage sur le Rhône, s’ajoutaient la vente du vin et de quelques produits agricoles.
- En ce qui concerne les importations, il faut mentionner les marbres précieux, provenant des régions voisines, voire de Carrare en Italie, et des métaux en lingot (fer, cuivre).

La production de céramique et son commerce reste la mieux connue. Ce sont les importations depuis le reste de la Gaule, d’Italie (sigillées arétine, rutène et arverne), d’Espagne (amphores contenant de l’huile ou des condiments), voire d’Orient, redistribuées en particulier en Haute-Savoie antique. Les productions locales sont illustrées par les ateliers de Thonon (Ier siècle) et de Portout (fin IIIe-milieu Ve siècle) et le rayonnement d’une céramique dite allobroge.

L’épigraphie et l’archéologie sont les seules sources susceptibles d’éclairer quelque peu

la vie religieuse dans la Savoie antique. En effet, seules les inscriptions donnent une esquisse d’un panthéon indigène, avec l’unique mention en Gaule d’Athubodua, probablement une divinité des eaux, la mention du dieu Vintius, dans la région de Seyssel, doté des épithètes Auguste et Auguste Pollux, qui laissent envisager une association du culte de l’empereur à ce culte indigène. Vintius est identifié à son équivalent romain Pollux.

Plus abondants en Savoie, les témoignages épigraphiques révèlent en Tarentaise, le culte d’Aximus, le dieu topique d’Aime, associé aux déesses mères, les Matrones, qui a donné son nom à la capitale des Ceutrons Axima (La Côte-d’Aime) et celui, plus énigmatique, de Mantounos à Salins-les-Thermes. À Châteauneuf, a été mis au jour un fanum consacré à Limetus (nombreux graffitis). De même, la relecture d’une inscription de Grésy-sur-Isère a permis de révéler le nom d’Elausia, peut-être la divinité topique du uicus.

D’autres divinités, mieux connues en Gaule, sont attestées en Savoie, tel Borvo ou Bormo, le dieu gaulois des eaux (Aix-les-Bains). D’origine celtique sont encore les déesses-mères qui assuraient la fertilité et la fécondité. Nommées Matrae chez les Allobroges, à Brison-Saint-Innocent, à Allondaz, elles sont appellées Matronae chez les Ceutrons, à Aime et à Moûtiers (Matronae Saluennae). Cette dernière dénomination est la plus courante dans les Alpes. Les figurations iconographiques de ces divinités sont plutôt rares et la répartition des découvertes est très inégale selon les départements savoyards (statuette en bronze de Sucellus, à Viuz-la-Chiésaz, un autel anépigraphe, à Annecy figurant un maillet stylisé, attribut régulier de Sucullus). A Lugrin, a été mis au jour un bas-relief représentant un dieu tricéphale, dont l’identification reste incertaine.

Plus riche apparaît le panthéon gallo-romain, illustré par l’observation de César, qui fait de Mercure et de Mars les divinités les plus populaires de la Gaule et en particulier en Savoie (Bell. Gall., 6, 17). Divinité omnipotente, Mercure est le grand dieu viennois que l’épigraphie et l’archéologie confirme pleinement tant en Savoie (Châteauneuf, Bourget-du-Lac, etc...) qu’en Haute-Savoie (Annecy, Saint-Félix, Groisy et Villaz où il est associé à sa parèdre Maïa). De nombreuses statuettes du dieu, de facture peu élaborée, ont été retrouvées.

Quinze occurrences épigraphique du dieu Mars sont attestées en Savoie. En Haute-Savoie, mentionné seul, à Annemasse, à Annecy, à Thyez, à Ville-La-Grand, il est associé une fois à Jupiter, à Douvaine. Dans le département de la Savoie, cinq inscriptions (au Pont-de-Beauvoisin, à Ruffieux, peut-être à la Chapelle-du Mont-du-Chat, à Brison-Saint-Innocent, à Saint-Alban-Leysse) font état d’un culte à cette divinité. Dieu protecteur de la cité de Vienne, mais surtout des simples particuliers, il est le seul dans la cité de Vienne à faire l’objet d’un culte municipal officiel (flaminat de Mars) réservé à de hauts personnages, généralement des magistrats municipaux. Une inscription de Passy mentionne Marcus Arrius Gemellus, magistrat de Vienne (duumuir aerari) et flamine de Mars. En déclin à partir de la fin du Ier siècle, ce culte disparaît dans le courant du IIIe siècle en cédant la place à Mercure (Fr. Bertrandy, RAN 33, 2000, p.125-148).

Troisième divinité importante, Jupiter Optimus Maximus est mentionné à Annecy-Le-Vieux, à Chavanod, à Gruffy. Dans ces trois cas, ce Jupiter est probablement plus un Jupiter gallo-romain que le dieu du Capitole à Rome. Il apparaît associé à Mars, à Douvaine, à Junon et à Minerve à Aime, à Aix-les-Bains, à Belmont-Tramonet, aux Échelles, à Saint-Pierre-d’Albigny.

Honorés essentiellement par les autochtones, ces dieux doivent être considérés comme des divinités gallo-romaines, tout comme Apollon qui apparaît plutôt comme un dieu guérisseur auquel est ajoutée l’epiclèse Virotutis, à Annecy et à Groisy où encore à Gilly, Grésy-sur-Isère, La Rochette et à Ruffieux. Castor et Pollux sont attestés ensemble à Annecy, Castor auguste, seul, à Duingt. A Seyssel, plus significative encore sont les dédicaces offertes à Pollux, associé à Vintius le dieu indigène local.

Les nombreuses statuettes en bronze de ces divinités, auxquelles il faut joindre Hercule, mises au jour en Savoie et en Haute-Savoie, illustrent leur popularité et surtout la piété simple des populations.

Attestés par l’archéologie et par l’épigraphie, quelques sanctuaires peuvent être signalés : celui de Faverges, dégagé en partie entre 1988 et 1993, comprenant une cour, un fanum, de nombreuses constructions, mais dont on ne sait à qui il était voué ; celui de Passy, consacré à Mars, fréquenté par les magistrats de la cité de Vienne qui y ont laissé des dédicaces; celui d’Annecy que vient de révéler une inscription ; celui du col du Chat, affecté à Mercure et Mars ; celui de Châteauneuf, révélé par les fouilles entre 1978 et 1986, consacré à Limetus-Mercure ; celui de Jupiter au col du Petit-Saint-Bernard ; ceux de Vintius-Pollux dans la région de Seyssel (Vens et Hauteville).

Peu nombreux sont les témoignages se rapportant au cuite des divinités orientales en Savoie. Il faut signaler l’autel métroaque anépigraphe de Conjux, une inscription de Moûtiers associant la Mère des dieux aux puissances divines des Augustes et aux Matronae Saluennae. Mithra était peut-être honoré à Lucey. Enfin un très beau buste en argent de Jupiter Dolichenus, mis au jour au col du Petit-Saint-Bernard, est conservé au musée d’Aoste.

Vers 450, le premier évêque de Tarentaise s’installe à Moûtiers tandis que la première église attestée en Haute-Savoie, à Annemasse, est consacrée, en 516.

Expression du loyalisme des habitants de l’Empire romain au souverain, garant de la victoire et donc de la paix qui engendre la prospérité, le culte impérial introduit au début de l’Empire en Narbonnaise, à trouvé une grande audience en Savoie, chez les Allobroges comme chez les Ceutrons.

En Haute-Savoie, les inscriptions ne mentionnent jamais le nom du souverain à qui on s’adresse, mais plutôt son numen, c’est-à-dire la " puissance divine " qui se dégage de sa personne, à Alex, à Annecy-le-Vieux, à Meythet, et en Savoie aussi à Aime, à Moûtiers, à Ruffieux, associé à Apollon.

Dans le département de la Savoie, les inscriptions s’adressent nommément à l’empereur, Auguste à Aime, Caligula à Saint-Jean-de-la-Porte, Nerva, Élagabal ou Sévère Alexandre, Carus et ses fils à Aime. D’autres textes ont été gravés pour la sauvegarde (Pro salute) de l’empereur Claude (?) et de Vespasien (?) à Aime, de Trajan à Albens, de Commode à Gilly-sur-Isère, sans oublier les graffiti en faveur de Néron et à la déesse Rome à Châteauneuf.

Deux inscriptions mentionnent une flaminique de la province de Narbonnaise, à Sales (Haute-Savoie) et une flaminique impériale de la cité de Vienne. Trois seuiri Augustales sont enfin attestés en Savoie.

Symbole d’une croyance de la survie de l’âme dans l’au-delà, le culte des dieux Mânes, ainsi que l’attestent les épitaphes, a été introduit dès la seconde moitié du Ier siècle en Gaule. Mais à partir de la seconde moitié du IIe siècle, aux dieux Mânes, est adjointe la mention à la mémoire éternelle (memoria ou quies aeterna) qui précise davantage la croyance à une autre vie dans l’au-delà.

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DU ROYAUME BURGONDE A CELUI DE BOURGOGNE

Les terres savoyardes de 443 à 1032

Dans l’histoire de la vallée rhodanienne, l’installation en 443 des Burgondes en Sapaudia constitua une césure majeure, dont l’ampleur ne saurait être sous-estimée :

1) Elle posa tout d’abord les fondements d’un nouvel ordre domanial, qui permit à une nouvelle aristocratie, issue de la fusion des chefs de guerre burgondes et des latifundiaires romains, de s’approprier les prélèvements fiscaux que le pouvoir impérial avait imposés à une paysannerie en voir d’asservissement. En ce sens, l’arrivée des Burgondes scella le destin de l’ordre public antique au profit d’une nouvelle organisation sociale, fondée sur la prépondérance d’une aristocratie de sang.

2) Elle donna ensuite naissance à un particularisme régional suffisamment affirmé pour que l’identité bourguignonne puisse survivre à la conquête mérovingienne puis à la politique carolingienne de centralisation, avant de se prolonger dans les royaumes bosonide puis rodolphien. Dès le VIe siècle, les terres des Burgondes furent désignées par le terme de Burgundia (en français Bourgogne), pour désigner un espace qui s’étirait le long de l’axe Saône-Rhône, des marches provençales à l’Orléanais franc. A l’intérieur de cet espace bourguignon, les terres des actuels département de Savoie et de Haute-Savoie ne constituaient qu’un espace marginal et hétérogène, qui n’apparaît guère dans la documentation qu’en raison de l’importance stratégique des routes des cols du Grand-Saint-Bernard et, dans une moindre mesure, du Mont-Cenis et du Petit-Saint-Bernard:

1) Encore faiblement humanisées, les terres de l’actuelle région savoyarde ne disposaient d’aucun centre ecclésiastique ou urbain de quelque importance, puisque les jeunes cités épiscopales de Belley, Saint-Jean-de-Maurienne et de Moûtiers n’étaient alors que de très modestes bourgs. Comme aucun monastère bénédictin ne s’était installé dans ces espaces marginaux, les actuels départements de Savoie et de Haute-Savoie ne disposaient d’aucun véritable centre de production écrite, ce qui explique que leur histoire au haut Moyen Age demeure des plus obscures.

2) En l’absence d’un véritable centre épiscopal ou monastique de quelque envergure, les futures terres savoyardes ne disposaient d’aucune unité, puisqu’elles subissaient les attractions concurrentes des cités de Genève, Lyon, Vienne, Grenoble et Suse. En ce sens, leur histoire ne peut donc s’inscrire que dans le cadre d’un espace élargi qui, du Viennois au Valais et de Genève à Grenoble, correspondait en fait au centre domanial de la monarchie bourguignonne.

I) Le socle Burgonde (milieu Ve - début VIe siècle)

1. Une armée, pas une ethnie

A en juger par leurs sépultures, qui nous ont fourni la quasi-totalité du matériel archéologique disponible, les Burgondes de Sapaudia ne constituaient qu'une modeste armée de combattants hétérogènes, sans réelle unité culturelle et encore moins ethnique :

1) Les difficultés que les archéologues éprouvent à distinguer les tombes des Burgondes de celles des populations locales semblent montrer que les nouveaux venus étaient déjà très romanisés à leur arrivée en Sapaudia. Sans doute est-ce pour cette raison que les Burgondes se mélangèrent très vite aux populations locales, à tel point que les archéologues ne parviennent plus à distinguer les deux populations dans les sépultures du VIe siècle.

2) Les Burgondes semblent n'avoir possédé aucune civilisation originale, si l'on en juge du moins par l'absence dans leurs sépultures de tout objet d'artisanat particulier, qui serait susceptible de nous permettre d'identifier une culture autonome. La diversité de leur matériel funéraire, qui provenait tout aussi bien du fond commun du monde germanique que de l'artisanat gallo-romain, relève d'une population bigarrée, qui avait emprunté à des foyers culturels les plus divers.

3) La présence de tombes à inhumation en couple, la pratique parfois attestée de la déformation crânienne, ainsi que la présence de caractères vraisemblablement mongoloïdes dans la dentition des squelettes burgondes, constituent un ensemble de témoignages convergents qui atteste de la forte présence de populations d'origine hunnique au sein de l'armée burgonde.

Confirmant ces données archéologiques, les sources écrites tendent aussi à nous montrer que les Burgondes n'avaient d'autre unité que celle que leur avait donnée Rome, en rassemblant des combattants venus de tous horizons dans un même statut de fédérés, c'est-à-dire d'alliés cantonnés par l'empire romain sur ses frontières :

1) En 411, à l'initiative de l'empereur Justin, un premier royaume burgonde, jadis appelé " de Worms ", fut établi sur la rive gauche afin de sécuriser une frontière que les invasions de 406 avaient mis à mal. Il est douteux que les " Burgondes " ainsi installés aient eu une quelconque unité ethnique.

2) En 435, les Burgondes se révoltèrent et allèrent piller la Belgique première. Deux ans, plus tard, le patrice Aetius, fort de ses contingents hunniques, alla châtier les révoltés, dont il massacra un très grand nombre. L'épisode marqua suffisamment les mémoires collectives pour donner naissance à une tradition épique, qui fut mise par écrit vers 1200, sous la plume d'un poète inconnu de la région du Danube autrichien, dans le fameux " chant des Niebelugen ".

3) En 443, Aetius accorda son pardon aux survivants, désormais hors d'état de nuire, et les installa en 443 en Sapaudia, afin d'assurer la sécurité des routes alpines qui menaient à Rome et de contenir la poussée des Alamans. La localisation précise de cette Sapaudia a fait couler beaucoup d'encre : en dernier lieu, Justin Favrod a soutenu avec des arguments des plus solides que la Sapaudia n'aurait regroupé que le seul diocèse de Genève, qui aurait toutefois alors compris les territoires des cités de Nyon et d'Avenches.

2. Les Burgondes et l'aristocratie gallo-romaine

L'arrivée des Burgondes et la politique de cantonnement de troupes barbares, que menait le patrice Aetius, suscita quelques oppositions au sein de l'aristocratie romaine :

1) Sous la direction de l'évêque Célidoine de Besançon, l'aristocratie de la Séquanie manifesta une certaine hostilité aux nouveaux venus.

2) Cette attitude fut toutefois très minoritaire, car la grande majorité de l'aristocratie romaine se montra très favorable à l'installation des Burgondes, comme le montre l'empressement de nombreux évêques rhodaniens' dont une grande partie était issue du monastère de Lérins' à demander au pape romain de déposer l'évêque Célidoine de Besançon.

La véhémence avec lesquels les évêques, qui étaient tous issus des meilleurs familles de l'aristocratie romaine, s'attachèrent à réduire toute opposition à l'installation des Burgondes, montre bien que, dans leur grande majorité, les latifundiaires romains firent un très bon accueil aux fédérés :

1) A l'image de Sidoine Apollinaire, qui se lamentait à l'idée d'entendre " les chansons du Burgonde gavé qui s’enduit les cheveux de beurre rance ", l'aristocratie romaine, imbue de la culture rhétorique qui faisait le fonds commun de l'éducation tardo-antique, n'éprouvait qu'un mépris profond pour les barbares.

2) Pour autant, alors qu'elle était en train de rassembler d'immenses domaines fonciers, l'aristocratie romaine avait impérativement besoin d'une protection militaire pour faire face à la menace d'une éventuelle invasion alémanique, mais aussi de l'insurrection sociale endémique, qui trouvait son expression dans le mouvement des bagaudes.

3) N'ayant guère confiance dans les contingents venus d'Italie, l'aristocratie gallo-romaine, qui ne voyait plus dans l'Etat impérial qu'un obstacle au développement de son hégémonie sociale, ne pouvait qu'être favorable au cantonnement régional d'une armée burgonde. Très méfiante envers la Cour de Ravenne, l'aristocratie gallo-romaine, qui aspirait à s'émanciper de la tutelle impériale, espérait en fait que les Burgondes lui apporterait une protection efficace qu'elle parviendrait à contrôler.

Disposant du soutien de l'aristocratie romaine, les Burgondes quittèrent bien vite la modeste Sapaudia pour se tailler un véritable royaume :

1) Pour l'essentiel, ce processus se déroula au cours du troisième quart du Ve siècle, lorsque les Burgondes parvinrent à donner naissance à un puissant royaume, qui s'étendait de Chalon et Autun à Viviers et Avignon.

2) Au jugement certes tardif du pseudo-Frédégaire, il semble que l'oligarchie romaine ait joué un rôle déterminant dans cette expansion, puisque cet historien du VIIe siècle affirme que " les Burgondes furent invités par l'intermédiaire d'ambassadeurs par les Romains ou les Gaulois qui vivaient dans la province de Lyonnaise, en Gaule chevelue, en Gaule conquise et en Gaule Cisalpine afin que ceux-ci puissent renoncer à verser les impôts à l'Etat et là, on vit les Burgondes s'installer avec femmes et enfants ".

L'aristocratie romaine était d'autant plus disposait à faire appel aux Burgondes, que leur établissement ne leur coûtait rien :

1) Comme l'ont démontré les recherches récentes, le droit " d'hospitalité " que les propriétaires romains devaient payer à la soldatesque burgonde ne consistait en fait qu'en la remise d'une part des impôts impériaux, dont le prélèvement était assuré par l'oligarchie locale. Depuis les réformes de Constantin, les latifundiaires romains avaient été contraints à lever directement l'impôt foncier sur leurs paysans, avant d'en restituer un tiers à l'armée, un tiers à l'empereur et un tiers aux autorités locales. En se plaçant sous la protection des Burgondes, les sénateurs leur remettaient directement les parts qu'ils auraient dû verser à l'empereur et à l'armée.

2) L'aristocratie accueillit donc avec enthousiasme les nouveaux venus, puisqu'elle préférait laisser directement les revenus fiscaux à une armée locale plutôt que de les laisser partir vers la cour de Ravenne, qui n'avait pas les moyens de protéger la Gaule. En ce sens, la formation du royaume burgonde ne fut finalement qu'une conséquence des aspirations à la liquidation de l'Etat impérial que l'aristocratie gallo-romaine, aiguillonnée par son égoïsme de classe, développa avec constance tout au long du Ve siècle.

3. Les Burgondes et le pouvoir impérial

A l'exception de l'empereur Maximien, qui assiégea Lyon vers 467 pour tenter d'endiguer l'expansion des Burgondes, les autorités romaine entretinrent de très bonnes relations avec les fédérés :

1) Dans un premier temps, les Burgondes apportèrent aux Romains de précieux contingents d'appoints. Ainsi, en 451, les Burgondes combattirent dans l'armée romaine, qui vainquit Attila aux Champs Catalauniques.

2) Par la suite, les Burgondes bénéficièrent du soutien tacite de la cour de Ravenne, qui abritait les derniers des empereurs d'Occident. S'inquiétant de la puissance des Wisigoths, les autorités italiennes favorisèrent les Burgondes, dans lesquels ils espéraient trouver un contrepoids à la menace wisigothique.

3) Après la chute du dernier empereur d'Occident, en 476, les empereurs de Constantinople, sous l'autorité desquels l'empire se trouvait réunifié, s'appuyèrent sur les Burgondes pour mieux lutter contre le royaume ostrogothique qui s'était édifié en Italie.

Bénéficiant ainsi de la confiance impériale, les rois des Burgondes exercèrent en fait un pouvoir d'une double nature :

1) Sur leurs sujets burgondes, ils exerçaient un pouvoir royal, qui pour l'essentiel relevait d'une chefferie de guerre. Le roi rassemblait les guerriers et les conduisait à la victoire : selon le témoignage Ammien Marcellin, il pouvait d'ailleurs être déposé s'il était été vaincu.

2) Sur les Romains, les rois burgondes n'avait d'autre pouvoir que celui que les empereurs romains leur avait délégués. Ils ne manquèrent donc pas d'utiliser les titres de " maître des milices pour les Gaules " ou de " patrice ", que leur conférèrent régulièrement les empereurs. Comme l'affirmait une lettre de Sigismond à l'empereur Anastase, dont le roi avait confié la rédaction à l'évêque Avit de Vienne : " tous mes ancêtres ont de tout temps accordé plus de considération aux dignités qu'ils recevaient des empereurs qu'à ceux qui leur venaient de leurs pères. ".

3) Ce double pouvoir des rois burgondes s'exprimait dans leurs émissions monétaires, qui étaient frappées à l'effigie de l'empereur, à laquelle avait été rajouté le monogramme royal.

4. Burgondes et Romains

Ce double pouvoir de roi des Burgondes et de magistrat impérial pour les Romains détermina toute l'organisation du royaume :

1) La royauté burgonde dut rédiger un double code de droit : l'un pour les Burgondes (la loi dite Gombette parce qu'elle fut proclamée par le roi Gondebaut en 502), l'autre réservé aux seuls Romains (la loi romaine des Burgondes, qui constitue sans doute davantage un recueil du droit romain qu'un nouveau droit propre aux Romains vivant sous l'autorité des rois burgondes)

2) Ce double droit explique la présence d'une double administration : dans chaque cité, le roi était représenté par deux comtes, l'un pour les Romains et l'autre pour les Burgondes.

A l'échelle de l'Occident latin, le royaume burgonde se caractérise toutefois par la faiblesse de la distinction entre barbares et Romains, s'opposant en particulier au royaume ostrogothique d'Italie, où les deux populations demeurèrent longtemps très strictement séparées :

1) D'un point de vue juridique, la loi Gombette était particulièrement proche du droit romain. La plupart des édits qui furent rajoutés au noyau initial proclamé par Gondebaud eurent d'ailleurs pour but de rapprocher le droit des Burgondes de celui des Romains.

2) A la différence du royaume ostrogothique, où il était interdit aux barbares de se mélanger aux Romains, aucun obstacle institutionnel ou juridique ne vint interdire la fusion très rapide de l'aristocratie burgonde et des sénateurs romains. Dès le début du VIe siècle, des mariages mixtes sont attestés, dont les descendants portèrent un double nom, burgonde et romain. Cette fusion fut encouragée par l'absence de toute ségrégation ethnique dans l'administration royale : très vite des Romains purent ainsi servir dans l'armée burgonde.

5. La question arienne

Comme la grande majorité des populations germaniques, les Burgondes étaient en majorité, à leur arrivée en Sapaudia, des chrétiens de confession arienne :

1) Selon la doctrine du prêtre Arius, les Burgondes considéraient qu'en raison de sa nature humaine, le Christ ne pouvait avoir une divinité égale à celle du Père, qui l'ayant engendré était donc son créateur. Ils s'opposaient ainsi aux Romains catholiques qui considéraient, selon le credo du concile de Nicée (325), que le Christ était tout à la fois pleinement Dieu et pleinement homme (" vrai Dieu issu de vrai Dieu "), affirmant en conséquence qu'il avait été " engendré mais non créé ".

2) L'arianisme ayant été condamné comme hérétique par le clergé catholique, les Burgondes durent donc se doter de leur propre clergé, qui célébrait le culte dans des bâtiments séparés de ceux qu'utilisaient les chrétiens de rite nicéen.

Soucieux de réduire la concurrence de l'église arienne, les évêques romains s'attachèrent à convertir les Burgondes au catholicisme :

1) Forts de leur culture théologique et rhétorique, les évêques rhodaniens s'attachèrent à convertir les Burgondes. L'évêque Avit de Vienne, conseiller du roi Gondebaud, fut particulièrement actif, et parvint à obtenir de nombreuses conversions individuelles.

2) Tout en réservant un très bon accueil à la propagande catholique, le roi Gondebaud fit preuve de la plus grande prudence. Pour ne pas se séparer de l'aristocratie burgonde attachée à la confession de ses ancêtres, il demeura arien, mais il autorisa néanmoins son fils et héritier Sigismond à se convertir au catholicisme, en 506.

Très progressivement, les Burgondes se convertirent au catholicisme :

1) Dès le règne de Gondebaud, la monarchie burgonde encouragea la fondation de monastères catholiques. A Genève, la princesse Sédeleube fonda un monastère dédié à saint Victor ; à Lyon, l'épouse de Gondebaud fut à l'origine de la fondation d'un monastère dédié à saint Michel. La plus importante de ces fondations monastiques fut toutefois celle de Saint-Maurice d'Agaune, où Sigismond édifia en 515 un très important monastère dédié aux martyrs de la légion thébaine.

2) Après la mort de Gondebaud en 516, son fils Sigismond lui succéda. Désormais catholique, la monarchie encouragea les conversions individuelles sans toutefois les imposer.

3) La conversion des Burgondes fut toutefois difficile et âpre, comme semble le montrer l'hostilité que Sigismond rencontra parmi les siens. Bien qu'affaiblie, l'église arienne burgonde parvint à survivre et ne s'éteignit définitivement qu'au cours du VIIe siècle.

6. Les Burgondes et les Francs

Déjà confrontés à la concurrence de voisins incommodes (Alamans au nord ; Ostrogoths à l'est ; Wisigoths à l'Ouest), les rois burgondes durent faire face à la montée en puissance des Francs saliens :

1) En 500 , les Francs lancèrent une première expédition contre le royaume burgonde, à l'appel de Godésigel, frère et concurrent du roi Gondebaud. L'intervention du roi wisigoth Alaric II fit échouer le projet : fort de ce soutien, Gondebaud put vaincre son frère, qu'il fit mettre à mort ainsi que toute sa famille, contraignant ainsi Clovis à se retirer. Le roi des Francs fut contraint à une paix décevante, au terme de laquelle il épousa Clotilde, fille de Gondebaud.

2) Entrés dans la pesante alliance de Clovis, les Burgondes participèrent en 507 à la conquête franque de l'Aquitaine wisigothique, en n'obtenant toutefois en récompense que la seule cité de Viviers. Ce conflit acheva de tendre leurs relations avec le roi ostrogoth Théodoric, qui attaqua les Burgondes et fit occuper la Provence wisigothique, interdisant à Gondebaud tout espoir d'arriver sur les rivages méditerranéen. Au terme de la guerre, le royaume burgonde se trouvait désormais entouré de toutes parts par les Francs et ne pouvait plus compter sur un éventuel soutien ostrogoth.

3) En 523, Clodomir, fils de Clovis et roi d'Orléans, déclara la guerre au roi Sigismond, sans doute pour venger la mort de Godégisel, dont il avait peut-être épousé la petite-fille. L'aristocratie burgonde en profita pour se débarrasser de Sigismond et le livra à Clodomir, qui l'amena à Orléans, dans les environs duquel le roi burgonde fut jeté dans un puits. Sigismond payait ainsi le prix de sa conversion au catholicisme, qui avait mécontenté une partie de son aristocratie, mais aussi le crime qu'il avait commis en 522, lorsqu'il avait fait étrangler Sigéric, le fils qu'il avait eu de son union avec une fille de Théodoric, ce qui avait profondément mécontenté les Ostrogoths.

Successeur de Sigismond, le roi Godomar essaya de rétablir une situation compromise, en tentant de faire face aux nouveaux assauts des Francs :

1) En 524, Godomar parvint à résister à une nouvelle expédition de Clodomir : lors de la bataille de Vézeronce, le roi franc fut battu et tué par l'armée burgonde.

2) En 532, Childebert et Clothaire attaquèrent les Burgondes, afin de venger la mort de leur frère Clodomir. Godomar parvint une nouvelle fois à résister à cet assaut.

3) En 534, les deux rois francs revinrent avec leur frère Théodebert : cette fois-ci, Godomar ne put résister et dut prendre la fuite, tandis que les fils de Clovis se partageaient le royaume des Burgondes.

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La Savoie au Moyen-Age, 1032-1536

L’essor de la Principauté

A.) Des comtes alpins (XIe-XIIe siècle)

Entre la fin du XIIe et les dernières décennies du XIIIe siècle, les comtes de Maurienne-Savoie accroissent progressivement leurs domaines.

La première étape, c’est un contrôle accru sur les vallées et les cols alpins.

Le deuxième palier c’est l’expansion géo-politique du XIIe siècle en direction des plaines péri-alpines (piémontaises, bressanes, vaudoises).

La dernière phase, c’est le renforcement politique de la principauté : les seigneurs locaux se transforment en fidèles vassaux des comtes de Savoie.

A/.1.- La Savoie et Humbert, dit "aux Blanches Mains"

A l’aube du nouveau millénaire, la Savoie fait partie du royaume indépendant de Bourgogne régi par la dynastie des Rodolphiens. Son dernier roi, Rodolphe III, meurt en 1032 sans héritiers directs.

Les sources dont nous disposons, d’origine royale et épiscopale, montrent une société dont les institutions sont encore proches de leurs ancêtres carolingiennes.

- Au centre, le roi, sa cour itinérante et ses biens fonciers, appelés fiscs.

- Sur le terrain, une série de circonscriptions, les comtés, où s’activent des agents royaux, les comtes, mais où agissent aussi les évêques, souvent nommés par ce même roi et choisis parmi ses parents.

Or, durant les années de gouvernement de Rodolphe III, les élites aristocratiques du royaume de Bourgogne ont tendance à s’ancrer dans un territoire précis. Les historiens peuvent poser les jalons des futures généalogies des puissants régionaux. Il est vrai que les ancrages locaux de ces aristocrates sont encore partiels ; leur existence met toutefois en danger l’autorité d’un roi qui risque de ne plus apparaître tel un souverain redoutable et sacré mais comme un simple arbitre politique.

Ainsi Rodolphe III, prenant comme modèle les institutions mises en place en Germanie par les empereurs ottoniens renforce les pouvoirs politiques de ses évêques. Ce sont des prélats actifs au coeur même du royaume, entre le Jura et les Alpes. Entre 996 et 1023, les évêques de Sion et de Lausanne, ainsi que les archevêques de Tarentaise et de Vienne, reçoivent des mains du roi de larges pouvoirs sur leurs comtés respectifs.

Malgré la très mauvaise presse que cette politique a longtemps eu dans l’historiographie, force est d’y reconnaître une véritable stratégie de conservation et de protection royales. Le roi nomme les évêques ; ceux-ci sont bien souvent ses alliés voire ses parents. Rodolphe s’efforce ainsi d’évincer du pouvoir les puissants laïques qu’il craint de ne plus dominer.

Dans ce contexte apparaît, aux environs de l’an mil, un personnage aussi nouveau que puissant dans l’entourage royal, le comte Humbert. L’historiographie savoyarde de la fin du Moyen Age l’a affublé du surnom légendaire et anachronique de "Blanches-Mains".

Humbert est, tout d’abord, un personnage nouveau. Quelles que soient les tentatives des historiens de lui trouver des ancêtres aussi illustres que ses futurs descendants, rien n’y fait, cet Humbert ne semble pas avoir de passé.

En fait, la question doit être posée autrement. Humbert a, bien un passé, mais il ne s’agit ni d’un passé localisé, ni d’un passé connu. Selon un modèle très carolingien, il doit sa réussite essentiellement à son roi, à un roi qu’il conseille et qu’il sert (il est comte), un roi à qui il a même réussi en 1011 à faire épouser en secondes noces une proche parente, Ermengarde. Pour Humbert, la faveur royale compte plus qu’une ascendance familiale et territoriale. Cette dernière demeure obscure ; elle fut peut-être viennoise, ou bourguignonne ou encore genevoise. Au fond, peu importe : c’est sa proximité avec le roi qui compte vraiment, c’est bien cela qui explique son apparente absence de passé.

Ce comte Humbert apparaît comme le prototype même du nouveau puissant, car, puissant, il l’est sans l’ombre d’un doute. Bénéficiaire direct ou indirect de maintes libéralités royales, Humbert est aussi parent de divers évêques ; il acquiert ainsi de nombreux biens dans plusieurs comtés situés entre le Rhône et les Alpes.

Alors, ce nouveau puissant, cet Humbert comte rodolphien actif de Belley au Viennois et à Saint-Maurice, d’Aoste à la Maurienne, est-il un comte de Savoie? En vérité, rien ne le prouve. Jamais un quelconque document ne spécifie la portée géographique de son titre comtal. Jamais, il n’est dit "comte de Savoie " ou "comte en Savoie". Son pouvoir se trouve avant tout dans les liens rapprochés qu’Humbert et ses proches ont noué avec le dernier roi rodolphien.

Quels sont donc les fondements de ce pouvoir?

- Des terres familiales possédées en pleine propriété (les alleux) et disséminées dans plusieurs zones du Royaume, le plus souvent en milieu alpin et péri-alpin

- De nombreuses donations foncières en provenance du roi

- Des activités administratives (comte) qui renforcent sa proximité royale

- Probablement un mariage bien décroché, celui de sa parente, Ermengarde, avec le roi lui-même.

Pourtant, dans les années 1020-1040, la puissance des Humbertiens (comme nous appelons la dynastie formée par Humbert et ses parents - frères, fils, neveux et cousins) manque encore cruellement de cohérence territoriale ; elle reste fondée sur le contrôle de terres, de droits et d’hommes situés dans les régions les plus diverses de l’ancien Royaume.

La nouveauté du XIe siècle est la suivante : les Humbertiens vont essayer de rendre leur géographie seigneuriale la plus cohérente possible. Pourquoi cela? Parce que, tout en ne devenant jamais rois, Humbert et ses successeurs s’affirmeront dans la région comme les nouveaux puissants capables de se tailler le contrôle d’une vaste aire d’influence entre le Rhône et les Alpes.

Au seuil du nouveau millénaire, tout cela ne suffirait pas pour faire d’Humbert l’homme fort des Alpes occidentales, celui qui, après la mort de son roi Rodolphe, en 1032, favorise la prise de pouvoir bourguignonne de l’Empereur Conrad II (il lui ouvre la voie vers les Alpes et l’Italie). Pour ce faire, il faut qu’en sus des terres, des offices et des hommes, les Humbertiens contrôlent un autre rouage politique essentiel : l’Eglise, ses évêchés et ses monastères (‡ l’Eglise)

Entre l’an Mil et le milieu du XIIe siècle, le pouvoir politique passe donc des rois aux comtes par le truchement des évêques.

Ces comtes ne deviennent pourtant pas les seuls détenteurs d’un pouvoir régional. Ils doivent, pour l’heure, le partager avec une myriade d’autres seigneurs, laïques et ecclésiastiques.

A/ 2. - Des comtes et d’autres seigneurs

Après la fin du royaume indépendant de Bourgogne en 1032, ses territoires ont des évolutions politiques différentes.

Dans certaines régions, tel le Pays de Vaud, l’autorité politique se morcelle au plus haut point. Elle est alors aux mains de lignages seigneuriaux localisés et concurrents. Toute unité politique régionale est absente.

Au contraire, ailleurs (Genevois, Bugey Combe de Savoie) des familles comtales récupèrent la majorité des pouvoirs, des abbayes et des terres du roi. Ces comtes deviennent de véritables référents politiques régionaux. Leurs dynasties coordonnent les autres seigneurs locaux (de "très nombreux nobles" se tiennent, par exemple, au côtés du comte Humbert lors d’une donation à l’abbaye de Savigny).

Dans ces régions "comtales", les Humbertiens, les comtes de Genève ou les Guigonides (futurs comtes d’Albon et Dauphins du Viennois), contrôlent leurs aristocraties. Des entourages comtaux se développent, constitués de seigneurs locaux (les Féternes ou les La Chambre auprès des Savoie). Certains lignages reçoivent même d’anciens titres administratifs carolingiens, tel celui de vicomte (Miolans-La Chambre en Maurienne ; Baratonia en Vallée de Suse). Ailleurs, les comtes s’accordent avec les évêques en vue d’un partage de leurs pouvoirs respectifs. Ce fut le cas en vallée d’Aoste entre l’évêque, le comte de Savoie et les vicomtes d’Aoste, futurs Challant, les plus prestigieux seigneurs de la région (1190)..

Dans ces régions à " trois vitesses" (rois-comtes-seigneurs) se développent, en parallèle, les liens féodaux. De nombreux seigneurs prêtent hommage au comte en recevant de celui-ci des terres, des hommes et d’autres droits en fief.

Cet essor n’est pas présent dans les régions "à deux vitesses" (rois-seigneurs) ; les différents seigneurs indépendants y demeurent en concurrence pendant tout le XIIe siècle.

Du XIe au XIIe siècle, les Humbertiens renforcent leurs pouvoirs dans une géographie alpine qui se précise. Ils sont maîtres de la région de Belley, puissants en Viennois et en Maurienne ainsi que protecteurs du bas-Valais en tant qu’abbés de Saint-Maurice. En outre, ils développent des liens transalpins après le mariage d’Odon, fils de Humbert, avec l’héritière des marquis Arduinides de Turin, en 1046 : en quelques décennies la Vallée de Suse tombe sous leur coupe ; en outre, au XIIe siècle, ils sont très actifs en vallée d’Aoste et en Chablais.

Ne nous étonnons pas, alors, de voir vocabulaire politique des Humbertiens changer en conséquence : ils ne seront plus de simples comtes, mais des comtes de Maurienne et des marquis en Italie. Ils s’apprêtent à devenir les maîtres d’une véritable seigneurie régionale, un ensemble géo-politique que nous appelons principauté. Ils seront comtes de Savoie, d’une Savoie politique qui constitue dès lors le coeur même de leur domination.

C./ -3 - Le comte dans ses terres

Quelles sont les ressources des comtes, d’où tirent-ils leurs revenus?

Grands seigneurs régionaux, les comtes de Savoie, dominent avant tout de très nombreuses terres avec les droits et les hommes qui leur sont attachés. Ils sont les plus importants seigneurs fonciers de la région. Leurs principaux revenus proviennent donc, pendant longtemps, de leurs domaines propres. Il peut d’agir des ressources agraires produites dans leurs domaines, ou bien des redevances, en nature et en argent, que doivent payer les paysans qui y travaillent.

En outre, les comtes sont de grands seigneurs de ban. A partir de leurs nombreux châteaux, ils dominent des terroirs cohérents. Tous leurs habitants, exceptés les clercs, les chevaliers et les autres nobles seigneurs, doivent verser au comte des redevances en échange de la protection assurée par son château et ses chevaliers.

A partir du XIIe siècle, les comtes concèdent toujours plus de terres en fief aux seigneurs locaux qui deviennent leurs vassaux. Ces inféodations peuvent se payer, comme c’est le cas dans le Pays de Vaud du XIIIe siècle.

La domination politique concerne aussi les communautés de paysans et de bourgeois. Celles-ci reçoivent des privilèges qu’il leur faut payer en monnaie sonnante et trébuchante (mis par écrit, on les appelle des chartes de franchises).

Enfin, le contrôle des vallées, des cluses et des cols alpins procure aux futurs comtes de Savoie des surplus monétaires non négligeables. Ce sont les différentes taxes et redevances perçues sur leurs péages des deux côtés des Alpes (Avigliana, Montmélian, Bard, Pont-de-Beauvoisin).

Les comtes disposent ainsi de ressources variées : foncières et féodales, politiques et économiques. Cela conduit, dès le XIIe siècle, aux prémices d’une administration financière. Il faut, en effet, des spécialistes de la gestion des biens et des droits comtaux.

Tout comme les chevaliers étaient devenus, dès le XIe siècle, les meilleurs atouts de la répression seigneuriales, ainsi, au XIIe siècle, apparaissent des "professionnels" de la gestion du domaine. On les nomme les ministériaux ; en Savoie, le terme le plus utilisé est celui de "métral". Ce sont souvent des paysans, parfois des serfs, qui réussissent une ascension sociale grâce à leurs liens avec le comte. Dès les années 1170, ces métraux (on les trouve aussi dans l’entourage des autres seigneurs) commençent à être chapeautés par des châtelains. Ces derniers ne sont plus des seigneurs indépendants mais bien des officiers du comte. Les débuts de l’administration savoyarde se mettent en place.

Où situer le centre de cette administration? Les Savoie ont besoin d’une capitale, ils vont la créer de toutes pièces.

B./ L’expansion du XIIIe siècle

Entre la fin du XIIe et les dernières décennies du XIIIe siècle, les comtes de Maurienne-Savoie accroissent progressivement leurs domaines.

La première étape, c’est un contrôle accru sur les vallées et les cols alpins.

Le deuxième palier c’est l’expansion géo-politique du XIIe siècle en direction des plaines péri-alpines (piémontaises, bressanes, vaudoises).

La dernière phase, c’est le renforcement politique de la principauté : les seigneurs locaux se transforment en fidèles vassaux des comtes de Savoie.

B./ 1. - "Portiers des Alpes"

Dès le IXe siècle, le royaume de Bourgogne apparaît, vu d’ailleurs, comme un royaume alpin par excellence. Un chroniqueur germanique écrit que Rodolphe Ier avait réussi à repousser de nombreuses attaques en se réfugiant "dans des lieux très sûrs ... peuplés de bouquetins". A la fin du Xe siècle, le roi anglo-danois Knut le Grand enverra une missive à Rodolphe III en lui demandant une sorte de sauf-conduit alpin pour son pèlerinage romain.

Les premiers comtes humbertiens, héritiers des pouvoirs royaux, s’efforcent de maintenir, pendant tout le XIe siècle, cette caractéristique. Ils se veulent protecteurs des Alpes occidentales, du Montcenis au Petit-Saint-Bernard, de la vallée d’Aoste à Saint-Maurice.

De ce point de vue, une étape fondamentale est franchie après 1046. Le mariage du comte Odon avec Adélaïde, héritière des comtes-marquis Arduinides de Turin, amène les Humbertiens à s’ancrer, surtout à partir du XIIe siècle, en vallée de Suse. L’emprise savoyarde sur les vallées alpines, sur leurs cols et sur leurs cluses, est assurée par la mise en place d’importants péages à l’embouchure des vallées de montagne : à Chillon (sur la route qui du Jura rejoint le Grand Saint-Bernard) ; à Montmélian et à Aiguebelle (sur la voie qui de l’Isère mène à la Maurienne) ; à Avigliana (en direction de la plaine du Pô).

Dans le courant du XIIe siècle, les Humbertiens modifient en leur faveur le paysage routier des Alpes occidentales. Les routes qui portent aux deux cols les mieux contrôlés par la famille, le Grand Saint-Bernard et le Montcenis, assurent leur suprématie commerciale et militaire par rapport aux autres voies de passage alpines.

Dès lors, dans le jeu politique et économique européen, les Humbertiens apparaissent à tous, Papes et Empereurs, moines, pèlerins et grands marchands, comme de véritables "portiers des Alpes" ; des portiers nouveaux pour des Alpes "nouvelles". Mais les comtes de Maurienne-Savoie ne se contentent pas de gérer les flux des passages alpins, d’où une volonté d’expansion vers la plaine, au nord comme au sud.

B/ 2. - Du Léman au Piémont

En 1207 un diplôme de l’Empereur Philippe de Souabe trace les grandes directrices de la future expansion savoyarde. Le roi allemand concède en fief au comte Thomas les bourgs de Chieri (grande place marchande près de Turin) et de Moudon (chef-lieu du Pays de Vaud). Du Nord au Sud, les axes de l’expansion savoyarde sont les mêmes : vers les plaines, dans les villes ou dans les bourgs. Il est vrai que, pour l’heure, la concession impériale est purement théorique, mais les comtes savoyards s’évertuerons de la rendre pratique avant la fin du siècle.

Entre 1240 et 1260 Pierre de Savoie, frère cadet du comte, installe le pouvoir savoyard au nord du Léman, par le biais d’accords féodaux et grâce à la mise en place d’un réseau de châteaux comtaux. Entre-temps, en 1232, le comte Thomas Ier avait acquis le bourg même de Chambéry auquel il avait immédiatement concédé une charte de franchise, riche en privilèges économiques et fiscaux. Enfin, en 1280, Thomas III réussit à imposer définitivement la tutelle savoyarde sur la commune de Turin ; dans le même temps, l’avancée savoyarde en Bresse se fait toujours plus pressante.

Le XIIIe siècle voit l’aire d’influence savoyarde se stabiliser sur les deux versants alpins. Ce sont les premiers pas de la principauté de Savoie. Les Humbertiens, qui se nomment à présent "comtes de Savoie", consolident leur suprématie politique et développent un contrôle féodal sur les autres seigneurs en passe de devenir leurs propres vassaux.

B./ 3. - Les seigneurs deviennent des fidèles

Les princes savoyards utilisent dès le XIIe siècle les liens féodaux et les hommages vassaliques pour assurer leur emprise sur le terrain et leur autorité sur tout autre seigneur.

Cette facette de leur pouvoir se montre au mieux dans le Pays de Vaud du XIIIe siècle, La "conquête" savoyarde de cette région au nord du Léman (divisée en plusieurs seigneuries concurrentes) s’accomplit non pas au gré de victoires militaires mais bien grâce une longue campagne d’hommages. Cette campagne couvre au moins vingt ans, entre 1240 et 1260 ; elle est organisée par Pierre II, le futur "petit Charlemagne" de l’historiographie vaudoise. En quelques décennies presque tous les grands seigneurs vaudois prêtent hommage aux Savoie. Ces puissants concèdent à Pierre leurs seigneuries jusqu’alors possédées en pleine propriété (les alleux). Pierre les remercie, très souvent il les paye aussi, puis leur rend leurs biens, cette fois en fief.

Par ces échanges, que les historiens appellent fiefs de reprise, les seigneurs maintiennent le contrôle pratique de leurs terres tandis que les princes de Savoie assurent leur suprématie politique et institutionnelle sur la région.

Ces mêmes liens féodo-vassaliques sont utilisés par les comtes de Savoie pour résoudre des problèmes dynastiques et d’héritage au sein de leur propre famille. Dans les dernières décennies du XIIIe siècle les comtes concèdent de vastes domaines à leurs cadets en contrepartie de l’hommage vassalique et du serment féodal. Le modèle, ici, vient de France et des divers territoires concédés par les rois capétiens à leurs puînés. Ces seigneuries gérées par une branche cadette de la dynastie régnante sont appelées des apanages.

Dans les terres savoyardes, deux sont les apanages les plus importants, à partir des années 1287-1290.

- La Baronnie de Vaud, qui ne sera récupérée par les comtes de Savoie qu’en 1359

- Le Piémont savoyard (exceptée la vallée de Suse ; capitale Pignerol en non Turin). Ces terres demeurent jusqu’en 1418 sous la tutelle d’une branche cadette : les princes de Savoie-Achaïe.

Les institutions féodales ont donc été utilisées par les comtes de Savoie pour unifier leur principauté et renforcer leurs pouvoirs alpins.

En vérité, et forts d’une assise aussi bien foncière que féodale et administrative, les Savoie vont continuer, pendant le bas Moyen Age, à étendre leur zone d’influence tout en s’efforçant de rendre leur principauté toujours plus cohérente d’un point de vue géographique.

C.) Du comté au duché (XIVe-XVe siècle)

Les deux derniers siècles du Moyen Age sont une période d’épanouissement pour une principauté qui engrange d’autres territoires en son sein, du Faucigny au comté de Genève, de Nice à Verceil.

Les comtes, devenus ducs en 1416, jouent un rôle non négligeable dans la politique militaire et religieuse de l’Occident des XIVe et XVe siècles. La guerre de Cent Ans entre la France et l’Angleterre leur laisse les "coudées franches", tandis que le prestige acquis par le comte-duc Amédée VIII fera de lui un Pape, nommé par le concile de Bâle en 1439.

Toutefois, la seconde moitié du XVe siècle sera aussi une période des désordres internes et d’affaiblissements diplomatiques qui risquèrent de faire disparaître à tout jamais la principauté savoyarde en tant que protagoniste politique autonome.

C./ 1-. - Savoie et Dauphiné

Du XIIIe au milieu du XIVe siècle, la Savoie n’est pas la seule principauté des Alpes occidentales. Il y a aussi :

- le comté de Genève (capitale Annecy et non Genève, contrôlée par ses évêques et ses élites urbaines) ;

- les terres des Dauphins du Viennois (anciens comtes d’Albon) à quelques kilomètres à peine de Chambéry et de Montmélian.

Du point de vue politico-diplomatique, les années 1200-1340 sont celles du conflit entre Savoie et Dauphins. Pendant longtemps aucun des deux belligérants n’arrive à défaire son adversaire ; à une victoire dauphinoise (Varey, 1325) succède une revanche savoyarde (Montoux, 1332), et vice-versa.

Au milieu du XIVe siècle, la situation évolue rapidement. Entre 1343 et 1349, le Dauphin Humbert II vend sa principauté au roi de France. Les historiens d’aujourd’hui appellent cela le "transport" du Dauphiné à la France. Les princes de Savoie ne luttent plus contre un adversaire à leur mesure : une autre principauté alpine, elle aussi maîtresse d’un col (le Montgenièvre) et présente sur le versant méridional des Alpes (vallées vaudoises ; Bardonèche). Le rival est désormais tout autre, et tellement plus puissant! Ce sont le roi français et son fils aîné, le futur Dauphin de France. Une solution s’impose. Grâce aussi à une éclatante victoire savoyarde (Les Abrets, 1354), les négociations aboutissent. En 1359, le traité de Paris met fin au long conflit delfino-savoyard.

Les clauses principales du traité montrent les progrès de l’idéologie princière : les deux camps partagent une même intérêt pour la cohérence territoriale de leurs Etats naissants

Le but du traité est de d’établir un statu quo permanent. La solution est innovante : le Dauphiné français et la Savoie princière mettent sur pied en échange de terres de grande envergure. Les Savoyards cèdent aux Valois leurs biens en Viennois, parmi lesquels des terres qu’ils contrôlaient depuis des siècles. En contrepartie, Amédée VI reçoit le Faucigny (dauphinois à partir du XIIIe siècle) : la Combe de Savoie est ainsi mieux reliée au Chablais.

Ce même objectif, le renforcement de la cohésion géo-politique de la principauté, sous-tend presque toutes les autres opérations politico-militaires des princes savoyards :

- rachat de la baronnie de Vaud en 1359

- mise au pas des autonomies des évêques (Tarentaise, Maurienne, Lausanne)

- acquisition du comté du Genevois (1402-1420)

- récupération, à la mort du dernier Savoie-Achaïe en 1418, de l’apanage piémontais.

- conquête de Verceil (1427).

Bref, entre le milieu du XIVe et la troisième décennie du XVe siècle, le comté de Savoie a définitivement acquis le profil d’une principauté régionale. De leurs Alpes, les Savoie ont atteint les plaines ; ils voient la mer (sédition de Nice, 1388) ; ils contrôlent (Lausanne, Turin, Nice) ou encerclent (Genève, Sion) les villes. L’empereur lui-même ne n’y trompe pas : en 1416 il érige l’ancien comté en nouveau duché sous la houlette de son prestigieux prince, Amédée VIII.

C./ 2. - Amédée VIII, protagoniste de la politique européenne au XVe siècle

Le long règne d’Amédée VIII s’échelonne de 1391 à 1451. Accédant au comté encore mineur suite au décès improviste de son père, Amédée gouverne d’abord sous la tutelle de sa grand-mère Bonne de Bourbon. La Savoie risque d’entrer de plein pied dans l’aire d’influence des princes français (Bourbon, Bourgogne). Toutefois, à partir de 1398, Amédée prend les rênes du gouvernement et contribue à asseoir le prestige de sa dynastie et de sa principauté.

Son activité diplomatique fait d’Amédée un véritable homme d’état européen. Il est un arbitre écouté dans les démêlés de la guerre de Cent Ans ; il renforce la place de sa principauté au sein de l’Empire romain (en 1416 l’Empereur Sigismond le fait duc) . A la mort de sa femme, Marie de Bourgogne, Amédée VIII de Savoie abandonna le pouvoir au profit de son fils, et se retira avec quelques compagnons dans l'ermitage de Ripaille qu'il avait fondé en 1434, près de Thonon. Il y vécut cinq ans, jusqu'à ce que les prélats schismatiques réunis à Bâle, l'élisent pape sous le nom de Félix V ; il accepte la tiare pontificale offerte, en 1439, par les Pères du concile de Bâle.

En vérité, ses plus grandes réussites, ainsi que ses échecs les plus cuisants; concernent le gouvernement de sa principauté.

Du côté des réussites nous trouvons :

- la poursuite de l’expansion territoriale (Genevois, Piémont)

- les acquis institutionnels et administratifs (par exemple les Statuts ducaux de 1430)

- la splendeur de la cour de Savoie, très proche des fastes de la cour bourguignonne.

Du côté des échecs, il y a d’abord la question de Genève, une ville dans laquelle Amédée réside souvent sans toutefois réussir à l’intégrer durablement dans ses Etats. Le problème genevois aura des répercussions jusqu’en pleine époque moderne.

L’autre grand échec est une conséquence des déséquilibres politiques liés à la réussite de l’expansion savoyarde. Il est vrai qu’Amédée VIII cède formellement son duché à son fils Louis dès 1434, lors de sa retraite comme ermite à Ripaille. Et pourtant, même en tant que (anti)pape, Amédée continue jusqu’à sa mort à diriger le nord des Etats de Savoie ; son fils, lui, s’installe au sud des Alpes, à Turin, dans le but de favoriser l’expansion italienne de la principauté.

Craignant la force, financière et militaire, des principautés italiennes, et tout particulièrement du duché de Milan, Amédée tente de dissuader le nouveau duc d’entrer en guerre contre les Milanais. Il écrit d’ailleurs de nombreuses lettres à son fils en lui implorant d’éviter l’affrontement. Peine perdue : les armés savoyardes tentent bel et bien de prendre le Milanais (campagnes de 1448-9). La déroute est complète. Moins nombreuses et moins bien payées, les troupes savoyardes s’écroulent au-devant des mercenaires italiens (les meilleurs professionnels de la guerre de ce milieu du XVe siècle).

Cette défaite militaire, qui bloque pour des siècles toute aventure italienne des Savoie, en annonce d’autres, bien plus graves, qui trouvent leurs raisons d’être dans les limites mêmes de la réussite princière des Savoie.

Depuis quelques siècles la dynastie savoyarde avait certes frayé son chemin parmi l’élite princière européenne. Les mariages des comtes et de leurs filles l’attestent bien. Déjà au XIIIe siècle, Béatrice de Savoie, fille et soeur de comtes, est chantée par Dante dans sa Divine Comédie (Paradis, VI) : "elle eut quatre filles et chacune fut une reine" (en France, en Germanie, en Sicile et en Angleterre).

Il est vrai encore qu’au XIIIe siècle, les Savoyards, emmenés par Pierre de Savoie et par son frère archevêque de Cantorbéry, représentent une puissante faction aristocratique en Angleterre. Ils nouent ainsi des liens durables entre les Alpes et les îles britanniques.

Il est vrai enfin que, du XIIIe au XVe siècle, la principauté savoyarde s’est pourvue d’institutions législatives, judiciaires et administratives équivalentes à celles des autres principautés et royaumes d’Occident. Elle a aussi réussi une véritable percée politico-militaire dans les régions alpines.

Tous ces acquis se suffisent pourtant pas à faire de la Savoie une puissance européenne stable et influente. Le désastre milanais est là pour le rappeler. Au devant d’adversaires plus riches et mieux organisés, toute la supposée splendeur savoyarde risque de s’affaisser en un clin d’oeil.

Or, au milieu du XVe siècle, la guerre de Cent Ans se termine sur une victoire française, et le puissant voisin occidental peut commencer à s’intéresser à nouveau à ses marges alpines. Voilà alors pourquoi et comment la seconde moitié du XVe siècle va se révéler une période très difficile pour le nouveau duché savoyard.

C./ -3. - Le royaume de France, un voisin incommode

Enfin sorties de la guerre de Cent Ans, France et Bourgogne se tournent bien vite vers la Savoie, ce voisin en essor. L’occasion leur est donnée par les conflits de faction qui voient le jour à la cour savoyarde dans les années 1440. D’un côté il y a les proches, les favoris, d’Anne de Chypre, épouse du duc Louis, tel le remuant François de Compeys appuyé par de nombreux officiers ducaux. L’autre parti est constitué par la fine fleur de l’aristocratie (savoyarde, genevoise, bressanne), des Menthon aux Challant, des Varembon aux La Baume. Ces querelles prennent un tour violent après que les nobles ligueurs eurent blessé François de Compeys. La mort, en 1451, d’Amédée VIII précipite les évènements. Louis, fort de son pouvoir, décide de bannir tous les seigneurs ligueurs. Or, ces derniers se réfugient aussitôt qui à la cour de France qui auprès du duc de Bourgogne.

Les liens internationaux de la grande aristocratie européenne mettent en difficulté le jeune duc. Les conjurés demandent à leurs nouveaux protecteurs d’intervenir en leur faveur, pour que leurs terres et leurs offices leur soient rendus au plus vite. Le vent de la diplomatie et de la guerre a tourné et le roi de France oblige, dès l’année suivante, le duc de Savoie à réintégrer tous les bannis dans leurs droits. Il en résulte même un accord officiel (traité de Cleppié, 1452). L’ingérence française et bourguignonne en Savoie se montre alors au grand jour.

Au cours des décennies suivantes, le cadre politique ne cesse s’empirer.

C’est d’abord la périlleuse politique de neutralité que mènent les ducs pendant les guerres de Bourgogne. D’une part, ils sont tiraillés entre leurs parents et alliés français et bourguignons ; d’autre part ils se préoccupent de la montée en puissance des villes suisses et des cantons confédérés.

Ce sont ensuite les difficultés dynastiques et d’héritage qui multiplient les apanages internes à la principauté (Genevois, Bresse, comté de Romont).

C’est enfin l’équilibre toujours plus difficile entre le vieux centre savoyard et les nouvelles velléités d’ancrage piémontaises. Turin devient une véritable capitale, pourvue de la seule université princière, de tous les appareils de gouvernement (dès lors dédoublés), ainsi que d’une démographie plus dynamique que celle de Chambéry.

Tous les éléments, internes et externes, d’une crise politique et dynastique sont réunis. Entre 1460 et 1530, ils vont croître et se multiplier, qu’il s’agisse de l’infériorité militaire face à la France et au-devant des cantons suisses, ou bien des premières percées du protestantisme, à Genève et ailleurs. Voilà qui sonne le glas des structures médiévales de la principauté savoyarde. Cette principauté n’est, somme tout, jamais entièrement réussie.

Après 1536, le duché de Savoie doit sa renaissance à la conjoncture politique ; ses fondements seront différents de ceux bâtis par ses princes pendant près de trois siècles.



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LA REVOLUTION EN SAVOIE : 1792-1799

La Révolution est un événement essentiel auquel la Savoie n’a pas échappé. Elle influença la société, les mentalités et le patrimoine, la grande question étant de déterminer si globalement cette "cassure" fut négative comme l’a affirmé le courant conservateur catholique majoritaire ici ou si en dépit des apparences elle n’en a pas moins apporté des éléments positifs déterminants comme l’ont soutenu maints historiens contemporains. Néanmoins force est de rester prudent car les archives administratives et politiques essentielles ont disparu dans l’incendie du château de Chambéry en décembre 1798 et les archives privées sont fort rares pour cette période troublée.

Une nouvelle fois, la Savoie reçut de ses voisins l’impulsion des évènements nouveaux. Les émigrants savoyards établis en France et surtout à Paris ne pouvaient manquer de communiquer à leurs compatriotes les nouvelles et les données des polémiques et des évènements français relayés encore par les voyageurs se rendant de France en Italie.

LA MISE EN PLACE DU REGIME FRANCAIS ( octobre 1792-juin 1793)

LA CONQUETE. La surprise est autant de la facile conquête du duché évacué sans résistance par les troupes et les autorités piémontaises que de la trahison de Montesquiou s’arrêtant devant Genève au lieu de s’en emparer et passant lui-même bientôt à l’ennemi. Certes un peu partout se créent des clubs révolutionnaires et des sociétés révolutionnaires qui s’emparent des pouvoirs locaux mais que faire de cette nouvelle conquête ?

LA FIN DE L’ANCIEN REGIME. Une assemblée dite des Allobroges réunit à la cathédrale de Chambéry un millier de députés des communes où dans la confusion s’impose vite un petit groupe de Savoyards de France revenus au pays pour "convertir" leurs compatriotes (tel l’abbé Simond). En quelques jours, l’ancien régime est aboli dans la complicité générale (avec la visite "respectueuse" de l’archevêque de Tarentaise et du Sénat) et plutôt que d’envisager une incertaine ou difficile république locale, il est jugé plus facile et plus intéressant de voter le ralliement à la Grande Nation (l’hypothèse d’une autonomie ou d’une indépendance savoyarde étant dorénavant définitivement abandonnée !). Encore faut-il se faire accepter par la Convention qui, hésitante et occupée par bien d’autres problèmes, met du temps à se prononcer et à ’envoyer enfin trois représentants en mission ( Hérault de Séchelles, Jagot, Simond et l’abbé Grégoire) dans le nouveau département dit du "Mont-Blanc", charge à eux d’installer ici le régime français.

LE NOUVEAU REGIME. Ce n’est donc finalement qu’au printemps 1793, que la Savoie sortit de l’incertitude et du provisoire pour mieux s’apercevoir de l’ampleur de certaines illusions de l’année précédentes. Les nouvelles circonscriptions ravivaient les querelles locales ainsi Annecy ne pouvant supporter de voir sa rivale Chambéry rester le chef-lieu politique du Mont-Blanc, recevait en compensation le nouveau siège diocésain départemental de la nouvelle Eglise constitutionnelle en se promettant bien de tout faire pour bénéficier d’autres avantages. Personne n’avait envisagé une persécution religieuse bien au contraire et d’ailleurs une bonne partie du clergé avait souscrit au serment de la constitution civile du clergé d’où la surprise devant la fermeture et le pillage des couvents ainsi que devant les premières exigences politiques et matérielles vis à vis du clergé paroissial. Il fallut supporter les premières charges militaires, les premiers recrutements administratifs, peupler les nouveaux tribunaux et les nouveaux bureaux c’est à dire éliminer les uns et imposer les autres. La guerre menaçait sur la crête des Alpes d’où l’on craignait de voir revenir les Piémontais, et bien entendu il ne semblait pas que les impôts dussent diminuer, bien au contraire.

LA TERREUR

L’OFFENSIVE SARDE. On n’avait encore rien vu: la guerre atteint la Savoie car les Piémontais assoiffés de revanche attaquent en septembre 1793, trop tard certes pour être efficaces et en accord avec la révolte fédéraliste de Lyon, mais il n’empêche qu’en trois colonnes par le Faucigny, la Tarentaise, la Maurienne, ils occupent les hautes vallées et font croire aux Savoyards restés fidèles à la Maison de Savoie l’éventualité d’une restauration. Hélas ! on n’en tire que des défaites et d’amères tueries (ainsi à Saint-Michel de Maurienne), beaucoup de déconvenues et de vengeances. Désormais la guerre se limite en de vaines escarmouches sur les crêtes mais l’armée française fait durement sentir sa présence dans tout le pays.

REACTION ET REPRESSION. Des émeutes royalistes à Chambéry et Annecy, le soulèvement du massif des Bornes autour de la mystérieuse Frichelette, il n’en faut pas plus pour durcir le régime, d’autant que les communautés paysannes ne supportent guère ni les réquisitions, ni la dépose des cloches (devant être fondues) et encore moins le nouveau clergé constitutionnel récusé même avant de s’installer. Les prisons sont pleines et même si la guillotine est inconnue ici, on l’attend d’un moment à l’autre

LA TERREUR. Le nouveau représentant en mission régional Albitte se fait vite remarquer par son zèle: arrestation systématique des nobles restés sur place (avec envoi des jeunes en apprentissage chez des artisans pour les "convertir" à l’égalité démocratique), fermeture des églises avec confiscation des œuvres d’art et objets liturgiques et surtout abattage systématique des clochers, fêtes de la raison dans les anciennes cathédrales. Albitte était-il aussi mauvais qu’il a pu le paraître et comme on l’a longtemps soutenu ? il semble que la Savoie ait été relativement épargnées des horreurs de bien d’autres régions et que l’on se contenta souvent ici de demi mesures ou de simples apparences. Il n’empêche que les évolutions s’accéléraient car l’irrémédiable culturel, social et politique était accompli et tout retour en arrière impossible

MODERATION ET SPECULATIONS ( mai 1794-septembre 1797)

LA DETENTE. Le rappel d’Albitte à Paris sonna le signal d’une certaine détente d’autant que la Savoie ne pouvait manquer de suivre les évolutions parisiennes. On eut bien de nouveaux représentants en mission mais aucun n’eut les prétentions révolutionnaires d’Albitte, les prisons se vidaient, les confiscations se freinaient, les interdictions se levaient, certaines figures réapparaissaient autant celles de prêtres que celles de nobles qui s’étaient cachés ou avaient fui les mois auparavant. En 1795, les élections aux nouvelles assemblées révélèrent la réapparition de certains nobles libéraux car c’était au tour des anciens montagnards de se retirer et même de se cacher. Il n’était plus temps d’interdire le culte chrétien, les églises furent rouvertes aux assemblées des fidèles qui n’hésitaient pas à susciter des réunions de prières sans prêtres. Allait-on enfin vers un modus vivendi marquant la réconciliation de fait entre les masses paysannes et la Révolution ?

LES BIENS NATIONAUX. En fait il fallait d’abord compter avec la vente des biens nationaux. Qu’ils fussent d’origine nobiliaire ou anciennes propriétés ecclésiastiques, ils formaient une masse considérable de bâtiments et surtout de terres, environ un cinquième du territoire, jamais le pays n’avait disposé d’une telle mutation. Confisqués en 1793 et 1794, ils ne furent mis en vente qu’en 1795 et surtout en 1796 après beaucoup d’incohérences administratives et beaucoup de gaspillage. Certes bien des paysans assoiffés de terres depuis des générations, achetèrent de petits lots mais la plus grande partie fut vendue en gros lots à des spéculateurs ravis de liquider leurs masses d’assignats, on parla en particulier de la fameuse "bande noire" de Chambéry où une poignée de bourgeois profitèrent de leurs richesses, de leurs connaissances et surtout de leurs positions pour s’approprier au moins provisoirement une masse énorme de terres, de vignes et de forêts qui ne firent qu’accentuer les différences sociales.

LA DEFAITE DES SARDES. Un autre élément décisif fut la poursuite de la guerre. Si en 1794, les troupes françaises eurent fort à faire à défendre leurs positions, l’année suivante elles n’en passèrent pas moins à l’attaque pour s’emparer des hauts passages du Mont-Cenis et du Petit-Saint-Bernard . Certes en 1796, le gros de l’armée suivit le général Bonaparte dans les Alpes du sud mais il n’empêche que les cols furent cette fois enfin franchis. Aussi bien par le nord que par le sud, le Piémont était attaqué et envahi. Les armées sardes battues et le roi Victor-Amédée III réduit à néant après l’armistice de Cherasco et l’humiliant traité de Paris ramenant le Piémont à la triste situation de pays occupé et vassal ( même pas jugé digne d’être conquis et "révolutionné" comme le Milanais). Il n’empêche: l’annexion de la Savoie à la France était reconnue par la Maison de Savoie, les émigrés savoyards de Turin obligés de céder ou de fuir, les communications rétablies entre les deux versants des Alpes. Désormais la Savoie n’était plus qu’un relais pour les troupes circulant entre la France et l’Italie.

LA SECONDE TERREUR (septembre 1797-septembre 1799)

LA REACTION DE GAUCHE. Le coup d’Etat de Fructidor (en septembre 1797) marqua à Paris la volonté de la gauche de ne pas s’en laisser compter par une éventuelle reconquête du pouvoir par la droite. L’épuration des assemblées des députés modérés nouvellement élus ( en particulier ceux du Mont-Blanc) s’accompagna d’un retour de la persécution religieuse ( des dizaines de prêtres sont arrêtés et emmenés en déportation, un grand nombre mourrant dans les pontons ou sur les plages de Guyane) d’un renforcement des contraintes révolutionnaires ( emprisonnements, contrôles, confiscation) et surtout d’un affermissement du style révolutionnaire ( fêtes officielles aussi bien pour marquer le 21 janvier, anniversaire de la mort de Louis XVI pourtant peu connu ici, que la création de la république et l’invasion de septembre 1792 , fête des moissons, de la jeunesse, etc, sans compter les réunions théophilanthropiques dans les chefs-lieux, publication du premier journal républicain savoyard, accélération des ventes de biens nationaux).

L’ŒUVRE DU DIRECTOIRE. Tout cela ne pouvait aboutir car les élections ne cessaient de révéler l’intensité des querelles entre modérés et néo-jacobins d’où une évidente instabilité. La décentralisation renforçait les divisions locales, d’au que la suppression des communes au profit des cantons était fort impopulaire, enfin le commissaire du Directoire était incapable de s’imposer face à des assemblées locales, affaiblies mais bavardes et insolentes. Affaiblissement d’autant plus sensible que les problèmes ne cessaient de s’aggraver. Le rétablissement des impôts indirects fut très impopulaire car il semblait que l’on revenait sensiblement à l’Ancien Régime. Que dire enfin de la trop célèbre loi Jour dan instituant en septembre 1798 la conscription , ce qui souleva immédiatement une intense émotion d’où un peu partout des manœuvres, des fuites, des fraudes et des attroupements, au moment même où l’on pouvait envisager une stabilisation du régime, l’opposition se déchaînait et l’incendie en décembre 1798 du château de Chambéry, siège de l’administration centrale du département fut très caractéristique de ce délabrement politique car bien entendu il fut impossible d’en trouver l’auteur

L’ANNEXION DE GENEVE. L’intervention française en Suisse pour soutenir les révoltés vaudois puis les républicains helvétiques n’arrangea rien. Genève que le résident français Desportes entendait réduire depuis des années, avait bien résisté à un sévère blocus de ses frontières mais ne put que céder devant les pressions diplomatiques et militaires. En avril 1798, les troupes françaises pénétraient dans la ville et un traité vint conclure à une inévitable annexion que les Genevois ne purent qu’approuver en silence. Cette conquête combla les jacobins savoyards qui y virent la vengeance du sort vis à vis d’une orgueilleuse ennemie séculaire et quel profit ne pouvait-on espérer de la conquête d’une telle place de banques et de richesses, c’était ignorer la ruine de la petite République depuis la Révolution et surtout c’était réveiller l’antagonisme entre la Savoie du sud et celle du nord puisque cette dernière pouvait dorénavant regarder librement vers Genève, sa capitale naturelle. La formation du département du Léman regroupant autour de la ville de Calvin le Chablais, le Faucigny, le pays de Gex et le nord de l’ancienne province de Genevois forma bien une véritable entité à la fois géographique et politique mais au détriment de l’unité ( même théorique) de la Savoie désormais divisée en deux parties condamnées au mieux à s’ignorer l’une l’autre.

BRUMAIRE. C’est dans ces tristes conditions que l’on apprit en novembre 1799 le renversement du Directoire et des conseils par un nouveau coup d’Etat, la nouvelle ne suscita aucune émotion particulière ici car on avait pris l’habitude de l’ impossibilité de la région à influer sur les grands évènements et même à ne plus espérer grand chose, tant les désillusions étaient universelles.

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SOUS LE PREMIER EMPIRE

La puissance du gouvernement parisien donna des moyens inégalés aux autorités locales, d’où le sentiment d’une efficacité et d’une possibilité accrue, ce qui fut très sensible dans le domaine des travaux publics ( construction de routes et de ponts) et des monuments ( réparations des cathédrales, casernes en particulier celle la grande caserne d’infanterie de Chambéry –l’actuel carré Curial) et la reconstruction du château de la même ville) . Certes l’Etat avait plus de projets que d’argent et la plupart du temps, les idées restèrent lettres mortes dans les cartons, d’autant que généralement les ministres harcelaient les maires et les conseillers généraux pour fournir les paiements nécessaires. Ce décalage explique sans doute la modération et la discrétion des députés savoyards à Paris fort soucieux de plaire au gouvernement en lui "soutirant" le plus de fonds possibles.

LES GRANDES REALISATIONS NAPOLEONIENNES.

LES ROUTES TRANSALPINES. La gloire du régime fut le rétablissement et le renforcement de la circulation transalpine.

LE SIMPLON. Dès 1800 et son retour de Marengo le premier Consul envisagea l’aménagement d’une route directe reliant Paris à Milan par Genève, la rive sud du Léman, le Valais et le col du Simplon. Les travaux ne furent pas faciles car la pente lombarde du col était fort raide et nécessita de multiples ponts et tunnels, mais il fallut aussi percer la corniche de Meillerie en Chablais, aménager la route du col de la Faucille, construire un nouveau pont sur l’Arve à Carouge et enfin forcer les Valaisans réticents et peu fortunés (d’où la restauration de l’indépendance complète du Valais en 1802 et au contraire son annexion en 1810 sous l’Empire). Ceci fut l’œuvre de l’ingénieur bugiste Céard ( déjà connu à Versoix sous l’Ancien régime) et plus généralement des Milanais d’autant plus intéressés que Bonaparte leur avait cédé le Novarais leur assurant ainsi toute la partie orientale de la route. Il n’empêche que ce chantier fut fort long, fort coûteux et n’assura des facilités de transport qu’après 1810 au moment où la conjoncture économique devenait moins facile.

LE MONT-CENIS. Plus efficace fut la route de la Maurienne et du Mont-Cenis, soutenue par les milieux d’affaires lyonnais et turinois et accessoirement par la Savoie qui voyait plus l’avantage du transit que de celui du commerce de la soie et du coton. Néanmoins l’impulsion essentielle arriva ici d’un haut-fonctionnaire savoyard: Emmanuel Cretet devenu directeur des routes avant de finir ministre de l’intérieur et qui appuya fortement le projet du Mont-Cenis auquel avait déjà pensé le gouvernement sarde quelques années auparavant. Ici aussi les Italiens assurèrent l’essentiel des travaux sous la direction d’un grand ingénieur grenoblois, Dausse, le passage fut assuré par une armée de cantonniers mais aussi et surtout par une communauté de moines restaurée sur le plateau même du Mont-Cenis. En 1805, le chantier était terminé et le passage possible toute l’année en voiture sans avoir besoin de démonter. Par la suite le trafic ne cessa de croître, on acheva vaille que vaille la route de Maurienne pour le plus grand profit de tout un monde d’aubergistes, de relais de poste, de voituriers et de muletiers, on commença un début de "contournement" de Chambéry et l’on acheva en huit ans le creusement du tunnel des Echelles permettant d’éviter le célèbre défilé de la Crotte. La réussite routière était manifeste, dorénavant on pouvait traverser les Alpes sans avoir à démonter les voitures. Les ingénieurs piémontais avaient fait la preuve de leur compétence pour construite des routes à lacets et pour le percement des premiers tunnels (ainsi celui des Echelles percé de 1808 à 1813) , enfin ils amenèrent avec eux toute une foule d’ouvriers piémontais (essentiellement du Biellese et du Novarais) qui allaient dominer pour un siècle et demi les travaux publics en Savoie. Qui en profita le plus ? la soierie lyonnaise plus que les cotonnades genevoises, la manufacture d’Annecy plus que les ateliers chambériens, Milan plus que Turin, la Maurienne plus que le Chablais.

LE COTON. Tout ceci remit la Savoie dans le réseau routier international non sans profit puisque la soie suscita une usine à Chambéry ( la Calamine), quant au coton alors en plein succès, il permit la création d’une grand filature à Annecy ( à l’instigation du savoyard lyonnais Duport) et de toute une série d’ateliers de tissages dans le Genevois pour le plus grand avantage des industriels de Genève mais aussi pour la plus grande chance de la Savoie qui n’avait jamais disposé d’un tel réseau industriel.

LES MINES. Depuis le voyage du savant géologue Dolomieu, on prit conscience de l’intérêt des mines de Savoie, ce qui explique la restauration des mines de plomb argentifère de Peisey en Tarentaise devenu le centre d’un arrondissement minier confié à la nouvelle Ecole nationale des mines installée à Moûtiers sous la direction du saxon Schreiber. 2000 ouvriers, une douzaine d’élèves-ingénieurs, 500 kg d’argent et 2.000 quintaux de plomb par an dès 1805, que ne pouvait-on espérer d’une telle croissance ? Certes le gisement semblait s’appauvrir mais on sut le renouveler par celui de la Plagne sur l’autre versant de la montagne, bien sûr on manqua de bois dans la haute vallée;, mais celui de la vallée d’ Arly justifia le transfert de la fonderie à l’Hôpital-Conflans.

LE TOURISME. Enfin on voyait apparaître le grand tourisme: sous l’influence de Rousseau qui avait fait connaître la région de Chambéry-Annecy ainsi que le lac de Genève et à la suite du savant genevois Bénédict de Saussure qui avait révélé la gloire du Mont-Blanc et le charme de la vallée de Chamonix, les voyageurs prennent maintenant plaisir à s’arrêter en Savoie pour en goûter les charmes des montagnes et de leurs habitants symboles de vertus et de tranquillité. Cependant le meilleur attrait est encore celui des eaux thermales, Saint-Gervais, Evian, La Caille, Amphion tirent naturellement leur succès des voisins genevois mais le plus grand succès est encore à Aix dont les eaux enfin analysées permettent toutes les guérisons, ce qui explique la venue ici de toute la famille impériale (Pauline Bonaparte suivie de sa mère et de son oncle Fesch en 1808, Joséphine et Hortense en 1810, de nouveau Hortense en 1811, Pauline, sa mère, son oncle et sa belle-sœur Julie Clary en 1812, Hortense en 1813, Marie-Louise en 1814 et enfin Hortense dans une dernière visite en 1815) suivie du tout Paris ( Talma, Mme de Rémusat, Me de Staël etc). La Savoie profitait largement de l’élargissement des horizons de ses habitants comme de ceux de l’intelligentsia nationale.

LES NOUVELLES FRONTIERES

L’urgence de la paix amena la signature de l’aberrant traité de mai 1814 partageant la Savoie du sud entre la France ( qui conservait ainsi un fragile morceau de ses conquêtes de la Révolution et de l’Empire) et le Piémont dont le roi Victor-Emmanuel I° venait de reprendre possession. Ce partage artificiel posa des problèmes de frontières aussi insolubles qu’universels.

La Savoie du nord restait non attribuée ce qui obligea les Genevois et les Suisses à s’interroger sur les avantages (et finalement les inconvénients) de l’annexion d’ un tel ensemble. On vit ainsi un peu partout s’opposer les partisans de la France, ceux de la Maison de Savoie et enfin ceux de la Suisse, divisions qui facilitèrent les désordres, les querelles et bien entendu les intérêts des Autrichiens qui occupaient et pillaient à plaisir la province. Victor-Emmanuel I° profita néanmoins des incertitudes de l’été 1814 pour réoccuper le Chablais et le Faucigny

Le Congrès de Vienne ne régla rien sinon les intérêts de Genève dont le représentant Charles Pictet de Rochemont obtint non sans difficulté ni malice une partie du pays de Gex pour relier l’ancien chef-lieu du Léman à la nouvelle confédération suisse et une partie de la banlieue savoyarde (dont Carouge) dans la promesse de faire couvrir de la neutralité helvétique la Savoie du nord où devaient entrer les troupes fédérales en cas d’invasion (française) de la Savoie.

Au printemps 1815 du fait de la guerre relancée suite au retour de Napoléon, le général Suchet avait bien essayé de prendre les devants pour attaquer sur les Alpes au même moment que celui choisi par Napoléon en Belgique mais il avait dû reculer précipitamment et les Autrichiens avaient de nouveau envahi la Savoie en même temps que les Piémontais s’emparaient de Grenoble, ce qui ne fit qu’accroître les exigences de Victor-Emmanuel I° pour faire valoir ses droits sur toute la Savoie.

LA FIN DE LA SAVOIE FRANCAISE. Enfin le traité du 20 novembre 1815 restituait toute la Savoie à son roi légitime clôturant ainsi vingt trois ans de régime français. Sur le moment la tendance générale fut de se réjouir de ce retour à la "petite patrie" symbole de calme et d’isolement, vivre entre soi avec "ses" rois, loin des grands Etats symboles de fiscalité, de centralisation et de conscription. En fait indépendamment de ces illusions, on ne se rendait pas compte de l’inexorabilité de l’histoire et des changements subis depuis une génération. La Savoie sortait affaiblie par les occupations militaires autrichiennes et surtout par les innombrables jeunes morts au loin dans la confusion des batailles ou des hôpitaux militaires, mais du fait de la croissance naturelle, cette perte quantitative ne fut la plus traumatisante et il fallut surtout compter avec l’exil d’une bonne partie de l’élite qui compromise dans le régime français, choisit de s’établir en France, perte d’autant plus lourde que la province n’avait pas besoin de voir son élite déjà réduite naturellement, s’appauvrir encore de la perte de ses éléments les plus ouverts et souvent les plus dynamiques.

L’Empire n’a laissé que de mauvais souvenirs. Le clergé a dénoncé la persécution gouvernementale après l’arrestation du pape, l’opinion n’a conservé que le souvenir de la conscription tout comme Genève a assimilé la période à un temps de pauvreté et de déclin, on se moque des rêves monumentaux de l’empereur pour le Mont-Cenis en 1813 et de l’inquisition gouvernementale qui recensait la filles nobles à marier. Ces avis sont fort injustes car l’Empire permis à la Savoie (et à Genève) de se remettre des troubles révolutionnaires, le rétablissement économique et monétaire a permis l’accroissement des revenus dans toutes les classes sociales et dorénavant la Savoie peut profiter pleinement d’un trafic franco-italien qui ne fait que s’accroître. Les intellectuels locaux ont révélé au grand public ce qu’était la Savoie qui désormais mieux connue, peut recevoir plus facilement des foules de touristes. Finalement, une nouvelle étape de l’ouverture du pays au monde avait été franchie et même si la conjoncture de 1814-1815 était mauvaise, la Savoie n’avait pas moins profité pleinement du régime napoléonien.

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LA PERIODE SARDE : de 1815 à 1860

Les historiens hésitent sur l’appellation de ce quasi demi-siècle où le duché retourna à la Maison de Savoie et au Royaume de Sardaigne.

Restauration ? oui ! indéniablement jusqu’en 1830 on eut l’impression d’un retour au pire à l’Ancien Régime et au mieux d’une obsession pour gommer l’héritage de la Révolution et de l’Empire.

Cependant dès 1835, le roi Charles-Albert se donne l’image d’un prince moderne sensible à l’idée d’être un nouveau petit Napoléon. Enfin après le choc de la "Révolution" et de la guerre de 1849, la Savoie ne vit plus dans le souvenir du passé même proche, mais au contraire tournée vers l’avenir, elle s’interroge alors sur son évolution politique.

Les historiens piémontais ne connaissent pas les références à la Sardaigne, jugeant que le Piémont est bien plus important et intéressant et que les Savoyards en l’oubliant, ne veulent toujours pas affronter la réalité ( ou plutôt le souvenir) d’une Savoie qui hésita puis refusa l’accouplement avec sa "sœur d’outre-mont" au profit de sa réunion à la "Grande nation française".

LA RESTAURATION (1815-1831)

LES SOUVERAINS.
Victor-Emmanuel I° et Charles-Félix sont deux souverains du XVIII° siècle, égarés dans la période romantique et affrontés à des questions nouvelles comme l’anti-libéralisme, les prémices de la révolution industrielle et du nationalisme.

Victor-Emmanuel° (1821-1831) ombrageux et têtu autant dans ses affections que dans ses refus, dominé par sa femme l’énergique Marie-Thérèse d’Este-Modène, détestait ses beaux-frères français (Louis XVIII et le futur Charles X ) dont il ne cessait de critiquer l’impérialisme et le double-jeu politique , tout en dénonçant d’un autre côté l’ambition italienne de l’Autriche. Jaloux de son autorité, il n’admit jamais d’avoir à ses côtés des ministres tout puissants ( d’où le renvoi en 1817 du ministre Vallaise et une grande méfiance vis à vis de Joseph de Maistre). Il ne vint qu’une seule fois en 1816 en Savoie et ne semble pas avoir eu jamais de grands intérêts matériels ou artistiques.

Charles-Félix° (1821-1831) fut un allié plus fidèle de l’Autriche d’où une politique extérieure très calme et dans l’ensemble une politique générale négative entièrement centrée sur le statu quo. Arrivé malgré lui au pouvoir auquel il n’était pas du tout préparé, le souverain ne manquait pas de goûts culturels ( fondateur du musée égyptien de Turin, passionné de théâtre ) ni de bonté d’âme ( il pardonna à son cousin Charles-Albert son rôle libéral de 1821 et le garda comme héritier) ce qui n’empêche pas les Piémontais de l’appeler " Carlo Feroce", petite vengeance contre le désintérêt manifeste du souverain pour le Piémont au détriment des provinces périphériques.

LA REACTION:

Peu de provinces ont été autant traumatisées que la Savoie retrouvant après 23 ans de régime français, un souverain qui fit sa gloire dans le refus systématique de reconnaître le moindre héritage de la Révolution et de l’Empire. Certes on se moqua dans toutes les chancelleries de ce "Roi des Marmottes" qui avait dit avoir dormi en Sardaigne durant toutes ces fâcheuses années passées et qui, en 1814 sitôt après son retour avait rayé d’un trait de plume tout ce qui avait été décidé depuis la Révolution de 1792

En fait le souverain dut rapidement se faire une raison, se contentant de la sauvegarde de quelques apparences (en particulier à la cour) il fallut se résigner sur les hommes ( on ne pouvait oublier les compétences d’un grand nombre de personnes en pleine force de l’âge et ralliées souvent par raison à Napoléon) et ensuite sur les situations car il était impossible de revenir en arrière sur la question des biens nationaux, de ne pas tenir compte de tous les contrats passés sous le régime français et même de punir les anciens responsables jacobins ou bonapartistes( il y en avait tant!)

On se félicita de la modération policière de la restauration, il y eut en effet ici peu d’emprisonnements, mais combien de censures pour limiter le plus possible les relations avec l’extérieur surtout avec la France , combien de mises à l’écart, d’étouffements, de petites vexations et de mesquineries administratives pour une foule de fonctionnaires, d’anciens notables ou d’anciens membres de la Grande Armée !

LE GOUVERNEMENT DE LA RESTAURATION

LES AMBIGUITES DU REGIME. Contrairement à ses promesses et aux illusions de ses partisans, Victor-Emmanuel I° conserva la centralisation, les impôts et la conscription. En fait le système de la Restauration est composé d’une cour crispée sur le protocole du siècle précédent et d’un autre côté d’une armée d’autant plus mal gérée qu’elle hésite entre le modèle prussien et celui de la France, d’ailleurs sans grand budget que pourrait elle faire puisqu’il n’y a rien à espérer entre une Autriche à la fois amicale et dangereuse et une France dont on ne cesse de se méfier ? enfin n’oublions pas non plus le poids d’une administration paperassière et servile aussi bien au niveau des ministères de Turin que des services provinciaux.

LES CARABINIERS: Bien sûr l’efficacité gouvernementale ne peut se comprendre sans les carabiniers, pure création de l’époque. Gendarmes mais aussi surveillants politiques et administratifs ne dépendant que des seuls ministres et gouverneurs et répartis tous les chefs-lieux de mandements, ils font régner l’ordre plus par la menace que par leurs propres forces.

LA CENSURE. Le grand souci du gouvernement est bien sûr de briser tout groupe de pression ou de résistance d’où le refus de tout groupement même privé susceptible de favoriser des discussions et des remarques ( et bien sur d’intolérables critiques) , on surveille ainsi les salons et les rares sociétés savantes ( la modeste et timide Société académique de Savoie "pensée" en 1820 ne sera ainsi vraiment reconnue que sept ans plus tard )

LE PERSONNEL DU REGIME. Un bon moyen de se faire obéir des services est l’instabilité et le brassage du personnel sans qu’il nous soit possible de distinguer les mutations proposées de celles imposées ou bien sûr de celles demandées, d’où les plaintes des Savoyards d’être envahis de fonctionnaires ou de juges piémontais, critiques justifiées d’un côté mais souvent mal fondées puisque cela n’empêchait pas les qualités individuelles, ce n’était pas d’ailleurs pas une nouveauté et enfin cela ne gênait pas la vie quotidienne puisque ces personnes parlaient français ( comme la plupart des bourgeois piémontais peut-être pas naturellement mais assez bien pour être efficaces ) Du sous-intendant provincial au gouverneur régional et de là au ministre turinois, les instructions viennent du haut en bas et seuls les renseignements ou requêtes circulent en sens inverse, la méthode n’était pas nouvelle mais elle était de moins en supportable pour les notables et les conseils communaux (nommés et sans pouvoir face aux puissants secrétaires eux aussi nommés )..

LE CLERICALISME

Un tel état d’esprit réactionnaire ne pouvait manquer de pratiquer un cléricalisme exacerbé tant il semblait que le catholicisme était le fondement de ce retour en arrière et de cet autoritarisme à la fois mesquin et paternaliste.

CENSURE ET REACTION. Comme il fallait s’y attendre, on revint sur les principes de la Révolution en supprimant la liberté religieuse, le droit à l’athéisme, la liberté de culte, la franc-maçonnerie Le clergé, qui n’avait pas oublié la persécution des années 1793-99 et peu apprécié celle ( toute relative) des années 1810-1814, applaudit à ces mesures mais à y regarder de plus près, les ambiguïtés n’en demeuraient pas moins.

On ne revint pas sur la vente des biens d’Eglise et si les pressions du clergé pour leur restitution furent bien réelles avec force menaces et chantages sur les "acheteurs-voleurs" ( ce qui explique aisément l’anticléricalisme de la génération suivante), jamais les autorités ne s’y associèrent, contribuant au contraire à la diminution progressive de ces manifestations.

L’Eglise retrouva sa puissance mais non son indépendance. Le clergé n’eut guère de liberté et pas plus de relation avec Rome que sous l’Empire français. Certes il fut favorisé mais en fait tous les nouveaux avantages matériels furent mis à la charge des autorités locales et les querelles qui s’en suivirent souvent, ne firent qu’avantager la puissance de l’Etat.

EVEQUES ET PRETRES. On recréa les évêchés d’antan, en 1822 Annecy retrouva son évêque puis en 1825 ce fut au tour des évêchés de Moûtiers et de Saint-Jean d’être restaurés. Un peu partout on créa des petits séminaires et il est vrai que le nombre des ordinations augmenta assez pour que l’effectif clérical apparaisse comme suffisant dès 1825-1830. Rassurés matériellement (quant à leurs traitements) et juridiquement (vis à vis des syndics communaux) les prêtres purent afficher sans limite leur rigorisme. Persuadés d’être les seuls garants de la foi et de la morale, ils affichèrent une sévérité de principes qui les amena parfois à exclure des sacrements une masse de paroissiens au point que les évêques durent calmer ces excès et que le P. Favre, grand missionnaire local, consacra toute son énergie à prêcher une religion plus sereine et plus ouverte.

COUVENTS ET EGLISES. En fait les deux réalisations les plus durables de cette politique furent la reconstitution progressive d’un réseau monastique ( une vingtaine d’ordres et congrégations dont les deux tiers de création récente, soit environ une centaine de communautés dont la plus célèbre est évidemment celle des cisterciens d’Hautecombe installés en 1826. ) mais aussi la reconstruction de près de deux cents églises surtout dans l’avant-pays et dans les préalpes ( où la population avait le plus augmenté et où les édifices du culte remontant pour la plupart au Moyen-Age, n’avaient donc pas connu la reconstruction baroque des XVII° et XVIII° siècles et avaient été fort maltraités sous la Révolution). On a beaucoup discuté sur l’originalité du classicisme de ces nouveaux édifices souvent parlé du "néoclassicisme sarde" ce que la plupart des chercheurs actuels contestent. Il n’empêche que cette gigantesque entreprise a été impulsée autoritairement par des évêques ravis de manifester ainsi leur pouvoir à des communes et des communautés qui se ruinèrent presque en corvées, en ventes de communaux et en emprunts pour construire des églises juste achevées au moment où la population commençait à décliner.

LA REPRESSION ANTI-LIBERALE

LA DEFAITE LIBERALE. Pour avoir été discret et être encore mal étudié en Savoie, le libéralisme n’en exista pas moins dans une bourgeoisie rabaissée dans ses positions ( perdant généralement ses positions acquises avant 1815), bloquée dans ses ambitions, tracassée dans sa vie quotidienne et condamnée au silence. Certaines victimes sont bien connues, le général Dessaix, quoique français mais resté en Chablais, continuellement traqué, surveillé et persécuté, le général Guillet emprisonné jusqu’à sa mort au fort de Fenestrelle ( ce grand escroc pouvait-il espérer d’ailleurs autre chose ? ), l’ex-secrétaire général secrétaire Palluel .rabaissé de la préfecture de Chambéry à un modeste bureau à Conflans etc. Pleins de juristes humiliés et amers, les "bureaux" rejoignaient dans leur critique les états-majors d’une armée déboussolée et chacun d’espérer une vengeance du sort aussi rapide que possible.

LA REVOLUTION DE 1821. On crut la trouver en 1821 à la suite des révolutions de Madrid et de Naples où les souverains locaux avaient dû sous la pression populaire concéder enfin des constitutions, d’où des intrigues dans les salons turinois, des troubles surtout estudiantins dans la capitale et enfin une mutinerie dans la grande forteresse d’Alexandrie. Il y avait loin de cette fièvre à une révolution, il n’empêche que Victor-Emmanuel I° se refusa à toute concession et préféra abdiquer plutôt que céder, rejoignant là une vieille tradition des princes de la Maison de Savoie de ne jamais s’accrocher au trône et de le quitter en cas d’incompatibilité morale ou politique. Le pauvre roi incapable jusqu’au bout n’avait pas attendu le retour de son frère Charles-Félix alors en voyage à Modène et seconde faute dans sa précipitation, il avait confié la régence à son cousin le jeune Charles-Albert de Savoie-Carignan tout juste âgé d’une vingtaine d’années et très lié aux chefs mêmes des conjurés, d’où la décision du jeune prince d’accorder la constitution tant espérée par les conjurés et de créer des "juntes" à la fois administratives et politiques. Un peu partout on vit ainsi se réveiller les bourgeoisies enthousiastes dans une telle conjoncture mais finalement bien imprudentes puisqu’en même temps le nouveau souverain récusait les initiatives du "régent" et pour mater l’indiscipline et le désordre ( tout à fait virtuel) faisait appel aux Autrichiens ravis de l’occasion. Bien sûr ceux-ci n’eurent aucune peine à écraser les troupes restées fidèles au programme libéral alors qu’en Savoie le gouverneur Andezeno bloquait le courrier pour mieux voir venir le sort et finalement apparaître comme celui qui avait laissé hors de l"aventure" un duché de Savoie décidément fidèle à la monarchie , ce qui ravit les historiens conservateurs de la province alors que les Piémontais et les progressistes insistent sur le nombre des personnes compromises et finalement punies.

LE REGNE DE CHARLES-FELIX. Il s’en suivit une décennie de reprise en main, de censure, de surveillance tatillonne, de serments obligatoires, de sermons moralisateurs. En apparence rien de bien méchant d’autant que le roi Charles-Félix détestait le Piémont et affichait ouvertement sa faveur aux provinces périphériques et en particulier à la Savoie qu’il visitait régulièrement et où il se caractérisait par sa bonhomie et son amour des arts ( d’où la reconstruction de l’abbaye d’Hautecombe, et l’édification d’un théâtre à Chambéry (ce qui lui vaudra plus tard une colonne à Bonneville et un obélisque à Chambéry), à remarquer enfin la préférence du gouvernement pour les expulsions plutôt que pour les emprisonnements. Même loin des excès réactionnaires des rois de Naples et d’Espagne, le royaume sarde n’en demeurait pas moins fort en retrait du progrès, même par rapport à la France réactionnaire de Charles X.

LE REGNE DE CHARLES-ALBERT (1831-1848) La mort de Charles-Félix en 1831 provoqua l’extinction de la branche aînée de la famille de Savoie et l’arrivée au trône d’un jeune homme brillant et dynamique qui sembla révéler une mutation décisive dans la conjoncture d’autant que la révolution française de 1830 avait démontré la possibilité d’évolutions nouvelles aussi rapides qu’imprévues. En dépit des hésitations du nouveau roi, il devint évident que l’on ne pouvait échapper ni aux réformes ni à la modernisation du pays mais justement jusqu’où pouvait-on, jusqu’où devait-on aller ?

LA DERNIERE VAGUE DE REACTION (1831-1835).

Les libéraux purent croire que la jeunesse et le passé du nouveau roi allaient provoquer des changements immédiats et décisifs, ce qui était inconcevable pour un garçon échaudé par son aventure de 1821 et les conséquences de cette dernière. Charles-Albert ne revint donc pas sur la politique de ses prédécesseurs et ne tint aucun compte de l’appel du jeune Génois Mazzini lui demandant de prendre comme "Italien" ses responsabilités devant l’histoire aussi bien pour créer un régime libéral que pour lancer la renaissance d’une Italie unifiée, Or le royaume entier vibrait, comme le prouvait l’évident anticléricalisme de la jeunesse chambérienne excitée en janvier 1832 par le prêche fort réactionnaire d’un missionnaire français et en mai 1833 suite aux cérémonies du jubilé. On s’en était tout juste remis qu’Alexandrie, Turin et Chambéry furent secouées en juin 1833 par un complot militaire méchamment réprimé ( 14 condamnations à mort , 37 aux galères et 2100 à l’exil ).. Rien n’était fini cependant car en février 1834, les Mazziniens lançaient une double attaque contre la Savoie depuis Genève vers Saint-Julien au nord et depuis le Dauphiné sur les Echelles au sud. Certes le calme revint mais au prix d’une sévérité dont on n’avait pas l’habitude ici d’autant que l’on se méfiait toujours davantage d’une France maintenant libérale donc dangereuse et que l’on affichait une amitié qui n’avait jamais été aussi forte envers l’Autriche.

L’OUVERTURE AUX REFORMES ( 1835-1847).

En fait Charles-Albert ne pouvait se résoudre à une telle politique négative, son orgueil ne pouvait manquer de le pousser à être un nouveau Napoléon et à défaut d’être conquérant autant être réformateur ce qui correspondait d’ailleurs à la tradition de la famille de Savoie.

UN ART NOUVEAU. En effet, comme son cousin et voisin Louis-Philippe, complexé d’être issu d’une branche cadette, il entendit marquer la culture de son époque en s’intéressant aux racines de sa famille et de la dynastie. Il refit presque entièrement le palais royal de Turin, il inaugura une académie des beaux arts à laquelle il donna son nom, il dota la saint Suaire de monuments à la gloire de quelques uns de ses grands prédécesseurs, il créa une académie de médecine, la bibliothèque royale, l’armurerie royale, la "Deputazione di storia patria", la "junte pour les antiquités et les beaux arts", enfin il restaura l’abbaye de Saint-Michel de la Cluse où il amena les corps de ses ancêtres médiévaux pour en faire "la nouvelle "Hautecombe" de la nouvelle dynastie. Il y avait bien longtemps que I’on n’avait pas eu une telle activité culturelle et même Chambéry se prenait au jeu avec le peintre Vicario décorant en néogothique la chapelle du château puis la cathédrale avant de poursuivre une intense activité dans toute la Savoie.

LES ŒUVRES SOCIALES. Socialement, l’Etat s’intéressa aux hôpitaux , aux œuvres , aux écoles populaires, finançant le plus possible les institutions existantes, et favorisant les initiatives privée. Ainsi: en 1833 était créé l’immense hôpital de l’abbé Cottolengo à Turin. De son côté, Chambéry recevait sa première école de jeunes sourds et sa première salle d’asile pour les tout-petits mais aussi une caisse d’épargne et une "maison de repos". En 1839, la loi avait envisagé une école primaire dans chaque commune mais il fallut encore six années pour que des écoles provinciales de méthode parviennent à créer un corps valable d’instituteurs. et en quinze ans le nombre des écoles doubla, 79.000 enfants fréquentant 1900 établissements en 1860. La Savoie rattrapait son retard surtout l’avant-pays à la fois très peuplé et très ignorant.

LES DEBUTS DE LA REVOLUTION INDUSTRIELLE. Il s’agit aussi de moderniser enfin le pays, d’où une active politique pour de nouvelles voies de communications, la Savoie peut ainsi s’enorgueillir du Pont de la Caille aussi prestigieux par le défilé enjambé que par la résistance de ses "fils" métalliques. La route de Genève est transférée de Rumilly à Annecy qui devient un important centre routier, enfin la route de Maurienne .est modernisée et d’autant mieux reliée à Chambéry grâce au nouveau pont royal. Si les voies ferrées apparaissent au début des années 40 en Piémont, on y pense seulement en Savoie où on se limite à une relation par bateaux à vapeur entre Lyon et le lac du Bourget lui-même relié à Chambéry par un chemin de fer "hippomobile". La grande industrie émerge enfin surtout en Piémont bien sûr mais aussi en Savoie, à Annecy toute fière de posséder deux des plus grandes entreprises du royaume, une de métallurgie avec Frérejean grand maître des forges de Cran fabriquant avec 400 ouvriers un sixième du fer sarde et l’autre textile avec l’immense manufacture de Laeuffer, le successeur de Duport qui dirige près de 4.000 ouvriers d’Annecy à Faverges et à Ponte-Canavese près d’Ivrée produisant près d’un cinquième de toute la production cotonnière du royaume. . Allait-on enfin décoller ? hélas, la récession arriva dès 1845-46 et la déception fut à la hauteur des espoirs précédents.

MODERNISATION ET CENTRALISATION. Néanmoins le royaume ne cessait d’évoluer, le roi imprimait une allure soutenue aux réformes revenant peu à peu à l’esprit des institutions napoléoniennes, Dès 1831, un Conseil d’Etat était créé en 1837, doté deux ans plus tard d’un code pénal et en 1842 d’un code de commerce. Le code civil était réformé, l’université ouverte aux sciences, les écoles techniques multipliées ( ainsi l’école de dessin linéaire de Chambéry, l’école d’horlogerie de Cluses, l’école de commerce et d’industrie de La Motte-Servolex), les intellectuels étaient invités en grande pompe à un premier congrès à Gènes tout comme les produits industriels à une grande exposition à Turin.. Enfin en 1847 une cour suprême de justice (dite en fait "de révision") était créée dans la capitale rendant obsolètes les anciens sénats de Chambéry, Turin et Nice réduits à n’être plus que de simples cours d’appel. Enfin comble de progrès, les petites provinces locales étaient regroupées en "divisions" équivalant aux départements français, la Savoie disparaissait alors au profit de deux divisions, une à Annecy (ravie de cette promotion) l ’autre à Chambéry furieuse de ne garder qu’un gouverneur symbolique, mais la bourgeoisie exulta de pouvoir enfin élire des conseils de province et de divisions rappelant les conseils généraux et d’arrondissements du système français.

LA SAVOIE SARDE

Durant une génération, la province donna l’aspect d’une région stable échappant pour la plus grande joie des conservateurs aux troubles ou au dangers du reste de l’Europe alors que les libéraux ne cessaient de dénoncer un archaïsme dangereux pour l’avenir et le risque d’un retard irrémédiable.

LA SURPOPULATION. La population ne cesse de s’accroître du fait d’une exubérante natalité ( 30 °/°° contre une mortalité de 25-26 °/°°) passant ainsi de 450.000 habitants en 1806 à 550.000 en 1848, maximum qui frappa les contemporains voyant avec inquiétude les marais des fonds de vallées, les forêts des pentes et les alpages des sommets disparaître au profit des cultures hissées à des altitudes impensables ( jusqu’à 2000-2500 m) au détriment donc de l’énergie et de l’élevage pourtant si nécessaires. D'après un recensement général du Royaume de avoie-Piémont-Sardaigne effectué en 1838, on apprend que le nombre des habitants était de 4.125.740 dont 273.000 seulement dans les villes. L'âge moyen des hommes était de 29 ans, celui des femmes de 24,5. Le taux de natalité s'élevait à 35,33/1000 ; celui de la mortalité de 29,15/1000, 50% des décès survenaient avant l'âge de 15 ans. La durée moyenne de vie était de 32,6 années.

L’EMIGRATION. L’émigration se renforçait au point que le Savoyard était devenu l’image même du migrant Certes le départ d’une partie importante de la jeunesse .vers la France et de plus en plus vers Paris chagrinait les familles et inquiétait le clergé mais n’était-ce pas le meilleur moyen pour éviter une surpopulation inquiétante et aussi un bon moyen pour rapporter à la maison un numéraire qui faisait toujours gravement défaut? Bien sûr, les villes françaises étaient bien incapables d’assurer du travail définitif à ces jeunes errants néanmoins les séjours se faisaient de plus en plus longs et beaucoup ne revenaient pas ( ce n’est qu’après 1860 que la révolution industrielle et le progrès des chemins de fer allaient systématiser cette émigration définitive) Même si le "gentil petit ramoneur" ou "l’honnête manœuvrier" étaient devenus des mythes, on ne pouvait ignorer la foule des marchands et des colporteurs de Haute Maurienne ou de Tarentaise ou les maçons de Samoens, ou les servantes du Petit-Bugey . Ne disait-on pas que près de 10% des Savoyards quittaient chaque année la province et que localement la proportion pouvait être parfois le double ? et n’estimait-on pas que si 10.000 Savoyards résidaient à Paris sous le Premier Empire, ils étaient plus de 40.000 sous le Second. ?

LE TOURISME ROMANTIQUE. L’immigration touristique ne pouvait compenser l’émigration populaire, cependant la Savoie devenait de plus en plus un lieu d’attraction comme le prouvaient les innombrables récits de voyage qui lui étaient consacrés. Aix et plus secondairement Evian voyaient la célébrité de leurs eaux s’étendre dans toute l’Europe occidentale, non seulement on y prétendait guérir une foule de maladies, mais la mondanité aidant, les curistes ( Lamartine, Balzac, Alexandre Dumas, la princesse de Salms) y affichaient dorénavant leur joie de vivre et leur goût du jeu. Depuis de Saussure, le Mont-Blanc est accessible, surtout à partir de Genève devenu le centre obligé du tourisme britannique et les Anglais encombrent dorénavant Chamonix dont les guides sont connus maintenant dans toute l’Europe.( la compagnie des guides est de 1821 ) L’alpinisme est passé ainsi dans les mœurs touristiques mais il ne s’étendra au reste des Alpes qu’après 1860. En tous les cas, les Alpes sont maintenant le domaine des Anglais comme le prouvent l’abondance des tableaux alpins du peintre Turner et l’enthousiasme de l’esthète et photographe John Ruskin pour les Alpes "cathédrales de la terre !" A pied ( comme les élèves de Topffer) ou en voiture ( comme Stendhal), favorables à cette région abritée des vices urbains ou très réservés à ce foyer de la réaction ( comme George Sand) , les touristes sillonnent donc la Savoie souvent sans rencontrer les habitants mais qu’importe! la montagne attire de plus en plus.

LA LITTERATURE SAVOYARDE. Même conçus sur le même modèle, les récits de voyage compensent heureusement la faible littérature locale. Joseph et Xavier de Maistre sont d’authentiques Savoyards mais leurs œuvres n’ont aucun lien avec le duché. Par ses "Méditations poétiques", Lamartine a fait connaître au monde le lac du Bourget et dans un genre différent Eugène Sue celui d’Annecy, mais en soi la Savoie ne peut alors s’enorgueillir que du romantique Jean-Pierre Veyrat célèbre par son passage du libéralisme révolutionnaire à l’exaltation conservatrice de la patrie et de son roi, mais surtout par ses vues sur les ruines d’Hautecombe dans la "Station poétique".

VERS UNE NOUVELLE SOCIETE. En apparence, la Savoie ne bouge guère en cette première moitié du XIX° siècle: pays rural sans grande élite, catholique et conservateur, mais en fait ne nous y trompons pas. on voit s’imposer une forte minorité de bons paysans enrichis par les biens nationaux et fortifiés par le progrès du marché, d’un autre côté apparaît un certain prolétariat certes très rural encore mais néanmoins de plus en plus conscient de sa situation ( au point d’alerter l’évêque d’Annecy Mgr Rendu qui lançe en 1845 un célèbre appel pour le soulagement de la misère ouvrière). Faute d’ouvertures politiques, la bourgeoisie profite du protectionnisme sarde pour développer toute une série de petites entreprises métallurgiques et textiles. en soi rien de sensationnel mais un frémissement général prouvant l’impossibilité d’une société d’échapper au progrès et à la modernisation.

LA CRISE DE 1848-49

Il eût été surprenant que la Savoie échappât à la crise européenne de 1848. Dans le soubresaut libéral de l’Italie, le roi Charles-Albert se voit contraint d’accorder une constitution, le fameux "Statuto", copie de la charte française de 1815 réformée en 1830 ( au moment même où celle-ci est supprimée à Paris en février 1848)

LES NOUVEAUX PARTIS. La Savoie découvre alors les débats électoraux et parlementaires., mais l’unité apparente du pays éclate, les conservateurs s’opposent aux libéraux mais aussi aux extrémistes démocrates et même républicains, les cléricaux aux anticléricaux, les Savoyards aux Piémontais, les partisans de la "petite patrie" à ceux de la "grande" car pourquoi ne pas profiter de la crise de l’empire autrichien pour s’emparer enfin du Milanais et commencer à réaliser cette unité italienne dont on parle de plus en plus ?

LES VORACES. L’agitation s’empare du pays, une foule de journaux plus ou moins éphémères agite l’opinion, fait rêver ses lecteurs, pose des questions et entretient les polémiques. Les réunions et manifestations se multiplient un peu partout, les jésuites sont expulsés au milieu des larmes de leurs amis et des ricanements de leurs ennemis. Enfin l’arrivée d’ouvriers lyonnais soi-disant savoyards ( Les "Voraces") venus apporter ici le réveil révolutionnaire, provoque la panique d’autant qu’ils parviennent jusqu’à Chambéry qu’ils occupent en profitant de la disparition momentanée des autorités, tout se finit dans le sang et l’ordre revient mais on a eu bien peur et l’impression une nouvelle fois vérifiée de l’indifférence des autorités royales plus préoccupées des affaires de la péninsule italienne que de celles de la Savoie.

LA PREMIERE GUERRE D’INDEPENDANCE ITALIENNE. En effet, pour des motifs différents, le roi et son gouvernement ont déclaré la guerre à l’Autriche. "L’Italia fara da se" en fait l’Italie se résume à une alliance incertaine entre le royaume sarde , la Toscane et les Etats du nouveau pape d’apparence libérale, Pie IX, De plus l’armée sarde est bien loin du niveau nécessaire d’équipement et d’organisation pour un tel conflit d’autant que les Milanais même révoltés contre les Autrichiens, ne sont pas du tout disposés à reconnaître la primauté de Charles-Albert. Dans de telles conditions, il n’y a rien à espérer et l’armée piémontaise se retrouve bientôt seule face au grand général autrichien Radetsky qui s’accroche au célèbre "quadrilatère de Mantoue" pour empêcher l’invasion de la Vénétie et la vaillance royale ne peut alors empêcher la défaite ( Custozza, 23-25 juillet)), le recul et bientôt même la retraite de l’armée sarde et l’on ne sauve le Piémont d’une invasion que par un humiliant armistice en juillet 1848.

LA FIN DU REGNE. La défaite n’a fait qu’exacerber les passions, les élections se succèdent révélatrices des tensions politiques mais aussi des impuissances gouvernementales. Les Savoyards se lamentent sur l’oubli de Turin à leur égard et beaucoup de libéraux n’hésitent pas maintenant à prôner le retour à la France devenue républicaine mais toujours riche et puissante. L’émotion est à son comble au printemps 1849 lorsque le roi et les radicaux encore une fois unis dans un bellicisme du désespoir, relancent la guerre, mais cette fois l’armée ne peut même pas envahir le Milanais puisque défaite complètement à Novare (23 mars) par les Autrichiens qui ont pris les devants. Le roi désespéré abdique sur le champ de bataille même et se retire immédiatement dans un exil morose au Portugal où il meurt bientôt, victime de son romantisme et de ses hésitations La couronne passe à son fils Victor-Emmanuel II dont on ne connaît alors ni les possibilités, ni les intentions. L’ère romantique se terminait donc dans la plus totale des incertitudes.

Victor-Emmanuel et Cavour
la fin de la Savoie sarde ( 1849-1860)

Une dizaine d’années vont être nécessaires au Piémont pour se remettre de la défaite et relancer le Risorgimento italien et d’un autre côté à la Savoie pour accepter avec enthousiasme sa réunion à la France au point de laisser croire que telle était l’issue fatale de son histoire.

LE REGIME LIBERAL

LES NOUVEAUX DECIDEURS. Le nouveau roi n’avait rien en commun ni au physique ni au moral avec son père. Il conserva le Statuto et accepta un gouvernement libéral et presque parlementaire en la personne dès 1851 d’un premier ministre habile et obstiné Camille Bens de Cavour qui sera ensuite considéré comme le père de l’unité italienne ( quoique apparenté au patriciat genevois) et comme le "bradeur" de la Savoie sarde ( quoique lié à la famille de saint François de Sales).

LA NOUVELLE POLITIQUE EXTERIEURE. Le roi et son ministre s’entendaient assez mal sauf sur la nécessité de moderniser le royaume et d’en faire la base d’un nouvel Etat couvrant au moins l’Italie du nord, vieux rêve de la Maison de Savoie. Cependant on tira la leçon de la décade précédente en attirant les capitaux britanniques et en flattant Napoléon III pour en faire un allié certes encombrant mais néanmoins nécessaire. Sortant ainsi de son isolement et de ses anciennes inhibitions, le gouvernement sarde se lance dans la grande politique européenne, il adhère à la coalition anti-russe de l’Angleterre , de la France et de Turquie à l’origine de la guerre dite de Crimée, engagement aberrant puisque sans aucun motif pour les intérêts de Turin sauf celui de se faire remarquer et de prouver la renaissance de l’armée sarde ( menée par le général La Marmora) Cavour peut ainsi participer au Congrès de Paris ( février-mars 1856) et s’attirer ainsi les sympathies anglaises et françaises. Certes il faut encore l’attentat d’Orsini contre NapoléonIII en janvier 1858 pour accélérer le rapprochement d’où la fausse secrète entrevue de Plombières ( juillet 1858) où l’habile ministre promet Nice et la Savoie à la France comme prix de son intervention en Italie pour la création d’un indéfini royaume d’Italie du nord, le mariage du cousin de l’empereur Jérôme-Napoléon avec la princesse Clotilde célébré en janvier 1859, symbolisant et concrétisant l’alliance franco-sarde. Tout est donc prêt pour la nouvelle épreuve, d’autant que Turin rallie discrètement une partie des Républicains italiens en la personne du héros de 1848, Garibaldi, amené ainsi à rompre avec son ex-collègue Mazzini muré dans sa méfiance contre la Maison de Savoie.

LA NOUVELLE POLITIQUE EXTERIEURE. Liée à cette diplomatie, une active politique intérieure donne au royaume sarde les structures capitalistes et libérales nécessaires à l’appui de la bourgeoisie et à l’industrialisation du pays. Fortement aidé par des investissements franco-anglo-suisses, un puissant réseau ferré se met en place reliant Turin à Gènes et à Milan. Cependant on achoppe sur la difficulté d’une liaison ferroviaire entre le Piémont et la Savoie où se met en place une ligne Paris-Chambéry par Culoz prolongée bientôt sur Saint-Jean de Maurienne mais paralysée par la lenteur des travaux du tunnel du Fréjus pourtant inauguré en grande pompe en 1857. Il n’empêche, l’ouverture commerciale du royaume excite la grande industrie dont le Piémont a bien besoin Encore faut-il aussi moderniser l’Etat, d’autant que Cavour doit faire face à une double opposition conservatrice d’un côté et radicale de l’autre (sans compter les jaloux de son entourage et la méfiance du roi susceptible et hypocrite). La lutte contre les privilèges de l’Eglise va dominer la période, car il s’agit de ramener le royaume au niveau de la législation française, d’où la fermeture de couvents "inutiles", la suppression des privilèges judiciaires du clergé (lois Siccardi), la dissolution de certaines associations trop actives ou la punition de certains prêtres trop zélés (lois Rattazzi). Et le gouvernement de menacer l’Eglise de la création d’un mariage civil et d’un état-civil laïc "une Eglise libre dans un Etat libre" ne cesse de clamer Cavour ce que ne peut supporter la hiérarchie ecclésiastique qui crie à la persécution et appelle la "colère de Dieu" sur un tel mauvais gouvernement. Décidément on était bien loin du régime qui avait précédé 1848 pourtant pas si ancien….

LES DERNIERS TEMPS DE LA SAVOIE SARDE.

LES RETICENCES DES SAVOYARDS. Ebranlée depuis 1848 dans ses convictions traditionnelles, la Savoie vit mal l’évolution du royaume. Elle ne se remet (et encore) qu’en 1855 de la crise économique qui la secoue depuis 1845 et qui renforce encore la bourgeoisie locale dans sa méfiance vis à vis de la révolution industrielle ( lui préférant de loin la jouissance de ses domaines fonciers ou la tranquillité des fonctions administratives) Le plus frappant est néanmoins l’inquiétude politique car l’originalité savoyarde ne peut que s’affoler devant une politique gouvernementale aussi dangereuse et incompréhensible à l’extérieur et aussi pénible à l’intérieur, car la grande majorité désapprouve la guerre de Crimée dont elle ne voit pas l’intérêt mais aussi la volonté de revanche sur l’Autriche car elle sent bien que d’éventuelles conquêtes italiennes ne pourront que renforcer ce nationalisme italien auquel elle ne participe pas et qu’elle considère même contraire à ses intérêts.

LES SAVOYARDS DU PIEMONT. Le feu des passions faisait oublier les données de l’histoire même récente. La Savoie ne voulait pas tenir compte des milliers de Savoyards établis en Piémont, on oubliait ainsi les fonctionnaires des bureaux, les officiels de la cour( ainsi Mgr Charvaz ancien précepteur de Victor-Emmanuel II devenu évêque de Pignerol puis archevêque de Gènes), les grands personnages du gouvernement ( Roget de Cholex sous Charles-Félix, le comte Avet sous Charles-Albert etc) ou de l’Etat-Major, les innombrables mariages "mixtes" de la noblesse (plus du tiers des familles nobles savoyardes avait contracté des unions piémontaises !). Turin abritait une foule de domestiques et de petits artisans venus de Savoie et n’oublions pas les relations économiques ( rien ne pouvant se faire en Savoie sans l’intervention des capitalistes piémontais) et culturelles ( du fait de tous les anciens étudiants de l’université de la capitale), bref le résultat de cinq siècles d’histoire commune n’était pas négligeable, loin de là.

LES OPPOSANTS SAVOYARDS. Or réveillant un antagonisme anti-piémontais qui rappelle les querelles des dernières années de l’Ancien Régime, la susceptibilité savoyarde anime une presse aussi abondante qu’excitée et par là va dresser toute une opinion complexée contre la politique cavourienne. Pourquoi s’intéresser à des Italiens dont on n’a rien à faire alors que le gouvernement s’occupe de moins en moins des Savoyards, italianise ses méthodes et ne cesse de provoquer la fidélité traditionnelle des "plus anciens sujets de Sa Majesté" ? Ces thèmes furent repris en permanence par les députés savoyards au parlement de Turin pour la plupart conservateurs et isolés face à la majorité libérale de l’assemblée. Bien sûr la querelle religieuse n’arrangea rien, les évêques savoyards criant à la persécution surtout après l’arrestation symbolique de l’archevêque de Turin, Mgr Franzoni,

LES LIBERAUX PRO-SARDES. Bien sûr, tout le monde n’est pas de cet avis et les libéraux (comme exultent d’avoir enfin le gouvernement de leurs vœux. même s’ils le considèrent souvent encore bien timide. Le paradoxe n’en demeure pas moins de voir les conservateurs si anti-français auparavant jeter un œil de plus en plus favorable sur la France et son second Empire symbole d’ordre, de stabilité et de richesse alors que les libéraux suivant une évolution inverse, protestent dorénavant contre une telle trahison en insistant sur l’intérêt des relations piémontaises. L’histoire savoyarde était décidément pleine d’imprévus, on n’y gagnait point en sérénité et l’instabilité ne cessait de croître. En fait il eût fallu raison garder: Cavour n’était pas en soi hostile à la Savoie bien au contraire il y avait même de fructueux intérêts particuliers ( à Aix, à Evian, dans la compagnie ferroviaire du Victor-Emmanuel II ) mais il n’entendait pas se faire freiner par des minorités considérées comme irréalistes dans leur conservatisme. L’italianité du royaume était une réalité de plus en plus sensible mais Turin et les vallées alpines étaient encore largement francophones tout comme la cour et les milieux ministériels. La persécution religieuse était toute relative et d’ailleurs très mal appliquée puisque l’Eglise gardait ses biens, la plupart de ses couvents ( surtout en Savoie) et son influence scolaire. En fait, la noblesse et une partie de la bourgeoisie savoyardes entendaient conserver leurs pouvoirs locaux traditionnels et n’avaient aucune envie de risquer leur puissance dans les évolutions économiques et politiques en cours. Quant au clergé incapable de sentir l’évolution des esprits, il n’avait que le seul souci de défendre les situations acquises et de conserver son influence sur les "bons esprits"

L’ISSUE FINALE DE 1860.

LA SECONDE GUERRE D’INDEPENDANCE. La guerre éclata en 1859 dans l’enthousiasme conjoint des Milanais et des Piémontais. L’armée française gagna la plaine de Pô par Chambéry et par Nice et Gênes. L’empereur Napoléon III fut triomphalement reçu à Turin ( 3 mai) et l’on partit pour ce que l’on croyait une simple promenade militaire. En fait l’Autriche se défendit vigoureusement et les deux grandes batailles de Magenta (4 juin) et Solferino (24 juin) sont restées célèbres par l’horreur des combats et l’abondance des victimes ( donnant raison ainsi au Genevois Dunant convaincu dorénavant de la nécessité de limiter ces tueries par une "Croix Rouge"). Napoléon III traumatisé et fatigué décida unilatéralement l’arrêt des combats et signa à Villafranca (11 juillet) un armistice aussitôt critiqué par les Sardes qui n’avaient néanmoins aucun moyen de le contrecarrer. Alors que Cavour faisait éclater sa fureur et démissionnait, la paix de Zurich donna le Milanais (mais non la Vénétie) à Victor-Emmanuel II à la fois ravi mais déçu, ce qui l’arrangea bien pour ne pas remercier son allié qui de son côté n’osa pas réclamer Nice et la Savoie. Les Savoyards pro-français qui avaient exulté, étaient consternés face aux libéraux ravis de la conjoncture.

LA REVOLTE DE L’ITALIE CENTRALE. La Savoie allait-elle rester sarde ? Une nouvelle fois l’histoire en décida autrement. Au printemps 1860, une série de révoltes locales éclatait en Italie centrale. Sous la poussée discrète mais indéniable du gouvernement turinois, les princes de Modène, de Parme et de Florence étaient chassés, remplacés par des autorités provisoires qui demandaient aussitôt leur annexion au royaume de Sardaigne ( si on pouvait encore l’appeler ainsi ). Un nouveau marchandage était d’autant plus nécessaire que l’équilibre européen n’avait jamais envisagé une telle extension du royaume prévu de Haute-Italie, on s’en sortit par un nouvel accord franco-sarde, le traité de Turin qui reconnaissait l’évolution de la situation italienne, en compensation la France recevait (enfin) Nice et la Savoie mais des plébiscites devaient montrer l’approbation des populations concernées.

L’ANNEXION DE 1860. Le printemps fut ainsi marqué par une série de consultations populaires, bien sûr on dut déplorer bien des pressions, bien des "oublis", bien des double-jeux mais il n’est pas moins certain que ni Paris, ni Turin ne se manifestèrent ouvertement dans les régions concernées et que les négociations diplomatiques furent aussi sereines que possible. Les jeux étaient faits : déliées de leur serment de fidélité aux souverains traditionnels, les populations acceptèrent avec autant d’illusion pour les uns que de résignation pour les autres, leurs nouvelles destinées. La Savoie était française et le proclama avec enthousiasme dans un plébiscite triomphal laissant les Piémontais et les Valdotains fort surpris de se voir si rapidement oubliés par leurs "frères" savoyards qui ,comme en 1792, croyaient trouver dans l’annexion à une grande puissance comme la France, la disparition définitive de leurs misères.



Le Saviez-vous ?

  • Connaissez-vous le chant des Allobroges ?

    Il a été écrit en 1856 par Joseph Dessaix, écrivain populaire et neveu du commandant de la Légion des Allobroges de 1792, à partir d'un air entraînant joué pendant la guerre de Crimée par la musique militaire sarde.
    Dans ce chant, c'est la liberté qui parle et évoque le refuge en Savoie des proscrits, après le coup d'Etat de Louis-Napoléon Bonaparte de 1851.
    Chanté à Chambéry en 1856, il devient le Chant des Allobroges, hymne populaire des Savoyards.
    La musique est la musique militaire sarde du chef Consterno (1855), les paroles ont été rédigées par Joseph Dessaix.
    A la différence de "La Marseillaise", cet hymne ne véhicule nulle haine. On n'y retrouvera pas davantage d'ostracisme ou de populisme : la Savoie, dans son hymne national, a su se soucier des nations voisines tout en mettant en avant les grandes idées de liberté, fraternité, amour et égalité.



       Ecoutez le chant des Allobroges !


  • Quelle est l'origine de la croix blanche de Savoie ?

    Au cours des siècles, la Maison de Savoie a adopté plusieurs emblèmes. Le remplacement de l'aigle par la croix d'argent sur champ de gueules, c'est-à-dire sur un fond de couleur rouge, constitue le changement le plus important. L'aigle avait été adopté par les premiers comtes car il s'agissait de l'emblème des empereurs (héritiers du royaume de Bourgogne) dont ils étaient les vassaux.
    C'est à partir du règne d'Amédée III (1103-1148) qu'apparaît la croix, sans que ce symbole ne s'impose immédiatement. Selon l'explication traditionnelle, la croix avait été choisie par Amédée III en raison de sa participation à la deuxième croisade.
    Ce n'est qu'à la fin du XIIIème siècle que la croix deviendra la pièce fondamentale du blason des membres de la dynastie.


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CARTES DES ETATS DE SAVOIE

Domaine et états des Ducs et Comtes de Savoie
Etats des Pays de Savoie.   Domaine des Comtes de Savoie au XII et XIIe siècles.   Domaine des Comtes de Savoie au XVe siècle.  
Domaine des Comtes de Savoie au XVIIe siècle.   Etats des pays de Savoie & Pièmont au XVI au XVIIIe siècles.   Domaine des Comtes de Savoie au XVIII et XIXe siècles.  


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LA MONNAIE : du gros d'argent au franc


Le gros d'argent

L'apparition d'une première monnaie savoyarde date du milieu du Xe siècle. Elle coïncide avec le développement de la féodalité, sur les ruines de l'empire carolingien.
Charlemagne et ses successeurs avaient en effet mis en place un système monétaire unique, basé sur la livre (dont sont issues la livre anglaise et la lire italienne), qui s'étendait à leur immense empire. Pour cela, ils s'étaient arrogés le monopole de la frappe de la monnaie, droit régalien s'il en est.
Mais l'affaiblissement de la dynastie ouvre une ère d'anarchie dont profitent les Pouvoirs locaux (grands seigneurs, municipalités, évêques), aux dépens des héritiers de l'empire, qui perdent leur monopole de la frappe. Au système unique succède une incroyable diversité monétaire, caractéristique du Moyen Age.

C'est dans ce contexte troublé que s'affirme la dynastie de Savoie. Battre monnaie est alors un moyen d'affirmer son existence et son indépendance. Les premiers comtes de Savoie ne dérogent pas à la règle.
La plus ancienne monnaie connue de la dynastie est le gros d'argent, créé au XIe siècle par Humbert aux Blanches-Mains. Inspirées du gros de Vienne, ces pièces sont frappées à Suze, puis bientôt à Aiguebelle, et portent une croix à leur avers (côté face).
Les successeurs de Humbert posséderont tous leur propre monnaie. En 1481, le duc Charles Ier, pour la première fois, fait représenter sa tête sur une pièce. C'est pourquoi ces pièces furent appelées testons.

En Savoie comme ailleurs, les monnaies sont foison : patagons, pistoles, ducatons, parpayoles, croisats ou sequins, à la valeur et au taux de change fluctuant d'un endroit à l'autre !
Qui plus est, les vicissitudes de l'Histoire (peste, Guerre de Cent ans, marasme économique), entraîneront la dépréciation du gros. Une pièce contenant de moins en moins d'argent-métal, il fallut créer de multiples autres pièces, soit des sous-multiples de petites dimensions comme l'obole, soit des pièces d'une valeur plus élevée, comme le cornabo, égal à 5 gros 1/4.

Apogée du Florin

L'argent seul fut employé jusqu'au XIIIe siècle, quand apparut, à Florence, le florin en or, qui allait détrôner le gros comme étalon monétaire.
Il faudra cependant attendre 1359 pour qu'il se diffuse en Savoie, sous le règne d'Amédée VI. Les pièces, d'un or pratiquement pur, sont frappées dans une multitude d'ateliers à Chambéry, Bourg, Pont-d'Ain, St-Genis, Yenne, Pierre-Châtel, Aix-les-Bains, Montuel, Gex, Poisy, Annecy. Une autre pièce en or a également cours en Savoie : l'écu !
Le florin savoyard, ou ducat, connaît son apogée avec le duc Amédée VIII (1383-1451). Le ducat est en effet utilisé comme monnaie de référence pour les transactions commerciales lors des grandes foires de Genève.
Le florin persiste ensuite tant bien que mal jusqu'au grand bouleversement du milieu du XVIe siècle, quand déferlent sur l'Europe les métaux précieux du Nouveau Monde.

Les réformes du XVIe siècle...

En 1536, le duc Charles III est chassé par les Français, qui occupent la Savoie jusqu'en 1559. A cette date, le fils du comte déchu, l'énergique Emmanuel-Philibert, recouvre les états de son père. Mais la Savoie est exsangue, les caisses sont vides. Il transfère la capitale de Chambéry à Turin, où il ouvre une banque afin d'attirer les capitaux. Surtout, il procède à une refonte complète du monnayage, pour lutter contre la dépréciation des monnaies savoyardes.
Les décisions sont spectaculaires. En 1561, toutes les anciennes monnaies sont abolies. Récupérées, elles sont refondues. La livre d'argent, inspirée de la livre tournoise française, devient le nouvel étalon. L'écu et le florin restent en vigueur, mais sont supplantés par la livre comme monnaie de compte. Celle-ci se subdivise en 20 sols, valant chacun 12 deniers. Des mesures auxquelles le peuple mettra un certain temps à s'acclimater.

Cette politique aura un effet salutaire pendant quelques décennies. Mais les longues guerres européennes du XVIIe siècle précipitent tous les états dans la crise et la déflation. En 1630, le gouvernement de Turin ordonne la réduction des florins en livres de 20 soks. Parallèlement, l'émission de " mauvaises monnaies ", en cuivre ou en billon (pauvre en métal précieux), donc de peu de valeur, s'accroît. Et les deux occupations de la Savoie par Louis XIV à la fin du XVIIe et au début du XVIIIe n'arrangent rien, et les finances sont à sec.

... Et celles du XVIIIe siècle.

Fort heureusement pour la maison de Savoie, Victor Amédée II (1675-1730), pour s'être allié aux ennemis du Roi Soleil, obtient en reconnaissance le titre de roi de Sicile (1715), qui en 1718 sera échangé contre celui de Sardaigne.
L'ambition séculaire des chefs de la maison de Savoie se voit enfin réalisée : la Savoie devient un royaume, et les pièces de monnaie de la nouvelle monarchie Savoie-Piémont-Sardaigne sont frappées de la couronne royale.
Economiquement, la paix aidant, la conjoncture se retourne. Le besoin d'une nouvelle réforme se fait sentir, d'autant plus que la France et l'Angleterre viennent de faire leur réforme monétaire. Celle_ci intervient en 1717, et s'inspire directement du modèle français.
La décision la plus symbolique est la suppression définitive du vieux florin, après presque 4 siècles de bons et loyaux services. En outre, dans un souci d'efficacité et de contrôle, l'atelier de Turin, et lui seul, possède le monopole de la frappe ; les autres centres sont fermés.
De même, l'ancien système est peu à peu abandonné : les monnaies en circulation sont retirées et refondues. Le peuple doit une nouvelle fois s'habituer au nouveau monneyage. L'unité de référence devient la livre ancienne du Piémont (dénommée ainsi par opposition à la livre neuve de 1815), qui est d'un valeur à peu près égale à la livre française, ceci pour des commodités commerciales, la Savoie entretenant des liens étroits avec son puissant voisin. Avec elle s'impose le système duodécimal, puisqu'une livre se divise en 12 sols de 12 deniers. Il en est de même avec les multiples : une doppia en or vaut 24 livres, un carlin (du nom du surnom du roi Charles-Emmanuel III) vaut 12 livres. A noter que la doppia constitue aujourd'hui une des pièces les plus remarquables de la numismatique savoyarde. Il arrivait fréquemment que des transactions se règlent à l'aide de pièces savoyardes, françaises et Suisses !

De la livre au franc.

Occupée par la France de 1792 à 1815, la Savoie se voit imposer la livre française puis le franc germinal instauré par Napoléon. Lors de la restauration de 1815, les souverains de Turin entendent faire table rase du passé révolutionnaire. La livre ancienne est rétablie. Peine perdue ! Les Savoyards se sont totalement habitués au système décimal français et sont réticents à revenir en arrière. La monarchie n'a d'autre choix que de s'adapter à la nouvelle donne. En 1816, est instaurée la livre neuve du Piémont, monnaie décimale indexée sur le franc français. L'objectif est là aussi, comme en 1717, de simplifier et de favoriser les relations économiques avec la France. Mais les anciennes monnaies duodécimales continueront à circuler pendant plusieurs années. Un quadruple de Gênes, en or, valait par exemple 79 francs ; un double de savoie 28,45 francs...
Si bien qu'au moment de l'Annexion de 1860, le passage de la livre au franc se fera sans trop de difficultés pour les Savoyards.

Du franc à l'Euro.

L'Annexion de 1860 signifie de fait la fin du monnayage savoyard, vieux de près d'un millénaire. Dès lors, traiter de l'histoire des monnaies de Savoie revient à parler de l'évolution du franc français.
Les grandes étapes sont connues. Après une période de remarquable stabilité jusqu'en 1914, le franc subit le contrecoup financier de la Première guerre et doit être dévalué par R. Poincaré en 1928. En 1960, une nouvelle unité monétaire fut créée, à l'instigation d'A. Pinay : le nouveau franc, valant 100 anciens francs.
Et aujourd'hui, il cède sa place à l'Euro, la nouvelle monnaie européenne. D'un certain côté, l'Histoire se répète : il y a plus de mille ans, Charlemagne, à la tête de la majeure partie de l'Europe occidentale, n'avait-il pas instauré une monnaie unique ?



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LA HAUTE SAVOIE

logo du département
Rhône-Alpes
Haute-Savoie (74)

                                 
Département français du Léman de 1792 à 1813

Jusqu'en 1860, la capitale de la province de Savoie du Royaume de Sardaigne était Chambéry. La France transforma ce territoire en deux départements : la Haute Savoie avec pour chef lieu Annecy et la Savoie qui conserva Chambéry comme préfecture.
La monnaie du Royaume de Sardaigne était la Lire (Lira) subdivisée en Centimes (Centesimi).

Carte d'identité de la Haute-Savoie

294 communes
34 cantons

4 arrondissements :
  • Annecy (Préfecture),
  • Bonneville,
  • Saint-Julien-en-Genevois
  • Thonon-les-Bains.
Agglomérations principales :
  • Annecy (12 communes)
  • Annemasse (11 communes)
  • Thonon-Evian (67 communes)
  • Cluses (5 communes).

Superficie : 483.862 ha

Altitude moyenne : 1.160 m
point le plus haut : Le Mont-Blanc . 4 810,40 m
point le plus bas : Commune de Seyssel . 252 m

Frontières : Suisse, Italie

Lacs : Léman 52.200 ha dont 21.400 ha en Haute-Savoie, Annecy 2.700 ha
900 unités pastorales en Haute-Savoie
250 alpages qui fabriquent

Cours d'eau : 3.500 km
Forêts : 170.000 ha

Réserves naturelles : 20.000 ha (premier département français)

LE BASSIN LEMANIQUE

Un bassin d'emploi en voie d'unification le phénomène des travailleurs frontaliers. Défini par l'accord franco-suisse du 1er août 1946, le statut du travailleur frontalier français travaillant en SUISSE est soumis aux conditions suivantes:

  • une condition de nationalité : être ressortissant français d'une honorabilité reconnue. Cette condition a été longtemps respectée notamment par les autorités cantonales suisses habilitées à délivrer les autorisations de travail. Depuis quelques temps, les ressortissants européens peuvent prétendre à un emploi de travailleur frontalier en SUISSE.
  • une condition d'ancienneté de 6 mois de résidence en zone dite " frontalière " (pour le bassin lémanique, cette zone concerne une grande partie du territoire des deux départements français de l'AIN et de la HAUTE-SAVOIE).
  • - le passage journalier de la frontière par le travailleur frontalier pour regagner son domicile situé en FRANCE voisine. On dénomme " mouvements pendulaires " les allers et retours quotidiens des travailleurs frontaliers.
    le passage journalier de la frontière par le travailleur frontalier pour regagner son domicile situé en FRANCE voisine.

Dans le bassin lémanique, le nombre de travailleurs frontaliers, au statut précaire, varie en fonction de la bonne santé économique des cantons suisses voisins (GENEVE, VAUD). Décroissant depuis le début de la crise économique qui a frappé la SUISSE à partir de 1990, leur nombre connaît à nouveau depuis la mi 1998, une progression régulière.
A GENEVE, 74 % des travailleurs frontaliers ont au moins 6 ans d'ancienneté. 67 % des travailleurs frontaliers ont au moins 11 ans d'ancienneté, c'est-à-dire qu'ils ont été embauché avant la crise à GENEVE (1990-1993)

Sur les 28 161 travailleurs frontaliers, 27 362 sont de nationalité française ( 97,16 %), 799 sont étrangers (2,84 %). Le marché du travail des deux cantons romands constitue donc pour le département de la HAUTE-SAVOIE un gisement d'emploi très dynamique qu'il convient d'exploiter afin d'améliorer la situation locale de l'emploi. Le Projet Territorial pour l'Emploi s'assigne donc l'objectif suivant : le développement du travail frontalier avec la création dès 2000 et sur 3 ans, de 1000 emplois nouveaux de travailleurs frontaliers.

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LA SAVOIE


Rhône-Alpes
Savoie (73)

                                 
Lors de la première "Annexion de la Savoie à la France" par décret du 27 novembre 1792, l'ancien duché, dont le chef-lieu est Chambéry, devient le 84ème département français, le département du Mont-Blanc.


Carte d'identité de la Savoie


305 communes
37 cantons

3 arrondissements :
  • Chambéry (Préfecture),
  • Bonneville,
  • Albertville
  • Saint-Jean-de-Maurienne.
Agglomérations principales :
  • Chambéry
  • Aix-les-Bains
  • Albertville
  • Bonneville
  • Saint-Jean-de-Maurienne
  • La Motte-Servolex.

Superficie : 6028 km²

En 1999, 305 communes dont

160 de moins de 500 habitants
  75 de 500 à 1 000 habitants
  60 de 1000 à 5 000 habitants
  10 de plus de 5 000 habitants
  63 communes urbaines (242 479 habitants)
242 communes rurales (130 779 habitants)


La population des villes en 1999

Villes
Chambéry

Population 99      55 786
Agglomérations 111 341

Aix-les-Bains
Population 99      25 702
Agglomérations    38 391

Albertville
Population 99      13 340
Agglomérations    28 941

St-Jean-de-Maurienne
Population 99        8 902
Agglomérations      9 846

La Motte-Servolex
Population 99     10 912 Inclus dans l'agglomération de Chambéry


Près d'un tiers de la population a moins de 25 ans


Tourisme

Le tourisme est une activité très importante, qui s'est développé à partir de la fin du XIXe siècle, d'abord en été. Terre de montagnes et de lacs, la Savoie offre été comme hiver de multiples loisirs. La Savoie dispose de 60 stations de ski alpin, 1 022 remontées mécaniques et de 17 sites de ski de fond. Grâce à ses sommets enneigés, le touriste peut aussi pratiquer des activités hors ski (raquette, promenade).
Le développement du ski, au XXe siècle, a fait de la Savoie le premier département de France pour le nombre de stations de sports d'hiver, dont certaines très importantes :

  • Val-d'Isère
  • Tignes
  • Les Arcs (Savoie)
  • La Plagne
  • Courchevel
  • Méribel
  • Les Saisies
  • important site nordique et alpin
  • Savoie Grand Revard premier site nordique de France
Le tourisme vert est aussi en large expansion. Du Parc Naturel National de la Vanoise aux Parcs Naturels Régionaux des Bauges ou de la Chartreuse, les randonneurs peuvent apprécier la diversité des paysages sur 3 000 km de sentiers balisés. Les plus actifs pourront pratiquer : escalade, via ferrata, golf (6 parcours), VTT et cyclotourisme.
Que ce soit l’eau des grands lacs (Bourget ou Aiguebelette), des petits lacs de montagnes ou des barrages, ils attirent de nombreux admiratifs (croisières) ou sportifs (voile, aviron, plongée…).
Le thermalisme, pratiqué depuis l'Antiquité, y est également développé, avec les quatre stations thermales encore en activité :
  • Aix-les-Bains
  • Challes-les-Eaux
  • Brides-les-Bains
  • La Léchère
Musées, châteaux, arts et traditions sont aussi à découvrir. Quant aux vins et à la gastronomie savoyarde, alliant saveurs et qualité, ils combleront les fins gourmets. Le département diversifie son offre touristique avec le Tourisme de Découverte Economique. Il permet de visiter quelques jours dans l’année des sociétés savoyardes.
Ces multiples atouts placent la Savoie dans les premiers départements touristiques français.

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ELEVAGE BOVIN

Les bovins, espèce principale, sont répandus sur l'ensemble du territoire à l'exception du sud-est méditerranéen. On y distinguait autrefois trois groupes : les "laitières", les "viande et travail" et les "triple aptitude" (surtout rustiques en montagne), groupes qui ont évolué, à la suite d'abord de la disparition de la traction bovine puis de la spécialisation des élevages, pour donner les "laitières spécialisées" et les "mixtes" (viande et lait), les "viande" et les "rustiques, ces deux derniers groupes formés quasi exclusivement de vaches allaitantes. Les troupeaux ont une dimension fort modeste : en moyenne, moins de 30 vaches par élevage, et rares sont les élevages, tant laitiers qu'allaitants, dont les effectifs sont supérieurs à 100 vaches.

Effectifs en France : 20 660 000 têtes dont 4 611 000 vaches laitières
et
4 105 000 vaches allaitantes

Les races laitières

La taille réduite des exploitations et, en conséquence, la nécessité d'intensifier ont orienté les zones côtières, une partie des zones collinaires adjacentes et certaines montagnes au relief peu accentué (plateaux du Jura, est du Massif Central) vers la spécialisation laitière : dans ces zones, c'est la Prim'Holstein ou, dans l'est, la Montbéliarde, qui dominent. Le cheptel laitier français est toutefois aussi un important producteur de viande ce qui explique, notamment dans les zones herbagères moins intensifiées, le maintien de races mixtes particulièrement bien adaptées, comme la Normande ou la Simmental Française, à productions très équilibrées, ou le développement de la Montbéliarde dont les aptitudes bouchères sont aussi très intéressantes. Par ailleurs, dans chaque région, des générations d'éleveurs avaient contribué à façonner le cheptel local pour l'adapter à leurs besoins, générant ainsi des races solidement implantées chacune dans leur région et qui continuent aujourd'hui à évoluer : il en est ainsi notamment pour la Pie Rouge des Plaines dans l'ouest, pour la Brune dans le centre-est et le sud, et pour l'Abondance et la Tarentaise, deux races rustiques des Alpes du nord, bien adaptées à des conditions difficiles qu'elles valorisent grâce à des fromages de haute qualité. Il est aussi intéressant de faire mention, dans les races laitières, de toute une série de races à effectifs aujourd'hui réduits, suite à la concurrence qu'elles ont subi de la part de races plus productives dans les décennies passées, mais dont les effectifs sont le plus souvent à nouveau en voie de nette augmentation dans le cadre de systèmes privilégiant de nouvelles formes de production : valorisation d'une race locale, intégration de la production dans des écosystèmes privilégiant les formes d'agriculture durable, élaboration de produits typiques de la région et de haute qualité. Tel est notamment le cas de la Bleue du Nord, de la Rouge Flamande, de la Bretonne Pie Noire, de la Vosgienne,...

 Les races allaitantes

Les herbages collinaires, mais à forte pente, du Centre disposent de leur côté d'une importante production fourragère estivale mais nécessitent des engrangements coûteux pour l'hiver, d'où le succès d'anciennes races de travail maintenant spécialisées dans la production abondante d'une viande maigre avec de fortes croissances et exploitées en système allaitant, dont les carcasses de femelles, d'excellente qualité, représentent une part non négligeable des revenus de leurs éleveurs : ces races se trouvent dans la zone des sols argilo-calcaires (lias) à l'est et au nord du Massif Central (Charolaise), sur la bordure ouest de celui-ci, qui a bien été améliorée depuis deux siècles (Limousine), ainsi que sur les coteaux du sud-ouest (Blonde d'Aquitaine, Bazadaise). De même, dans les Pyrénées et le Massif Central, on exploite des races rustiques habituées aux fortes pentes et aux saisons difficiles, mais excellentes allaitantes et bien adaptées au croisement (Gasconne, Aubrac, Salers).

Enfin, la production allaitante utilise aussi d'anciennes races mixtes de grand format qui ont aujourd'hui abandonné la traite et axé leur sélection sur les aptitudes bouchères et notamment sur la conformation : c'est le cas de la Maine Anjou, de la Parthenaise et de la Blanc Bleue.

Race Abondance L'ABONDANCE
Race Tarine LA TARENTAISE



Race bovine ABONDANCE  

Origine, zone d'élevage et performances

Originaire de la vallée qui porte son nom, l’ABONDANCE est issue du grand groupe jurassique dont la diffusion est liée au peuplement Burgonde. Cette race est actuellement essentiellement présente dans 13 départements français, en majorité en région Rhône-Alpes et dans le Massif Central ; elle représente plus de 150 000 têtes de bétail.
 

Effectifs 65 000 vaches dont 15 575 controlées
Qualités laitières production laitière : 5739 kg (lactation corrigée)
taux butyreux : 37,4 °/oo
taux azoté : 34,3 °/oo
Qualités bouchères poids de carcasse
- taurillons (18 mois) : 320 - 380 kg
- vaches de réforme : 300 - 380 kg
avec un rendement viande de 55 %



Aptitudes et utilisations

A la fois laitière et rustique, l’ABONDANCE est la laitière des zones de montagne et des zones difficiles.

  • Son potentiel laitier est très bien exprimé dans des conditions de milieu particulièrement rudes: - Une longévité importante mène le quart des vaches jusqu’en 5ème lactation et au-delà. - Le lait, riche en protéine, est transformé en fromages A.O.C bien connus comme le Reblochon, l’Abondance ou le Beaufort, en Tomme et en Emmental de Savoie.
  • Adaptée à la montagne :
    • elle offre une grande résistance aux amplitudes thermiques (thermotolérance) ;
    • grande marcheuse, elle va chercher sa nourriture en alpage et valorise ainsi les surfaces fourragères dont elle ingère et transforme au mieux la production ;
    • des hivernages en étable entravée de 7 à 8 mois en été, plus de 100 jours d’alpage jusqu’à 2 500 m d’altitude.
  • Son potentiel viande constitue un atout supplémentaire: - La race est utilisée pour le croisement industriel grâce à sa très bonne aptitude au vêlage. - Les vaches de réforme offrent des carcasses de 300 à 380 kg, avec une ossature fine; les taurillons ont une croissance rapide et importante. Sources: INRA, Institut de l’Elevage, UNLG, 95 Origine

Schéma de sélection

Toutes les actions de sélection visent à améliorer la qualité des animaux exploités, en vue d’accroître le revenu des éleveurs. La sélection et le classement des reproducteurs sont établis à partir de trois types de critères :

  • Les index génotypiques de production: sont retenus comme premiers critères de sélection les index ayant trait aux quantités de matière. L’INEL est le principal index.
  • Importance de la transformation fromagère : la modification des modalités de paiement du lait par les entreprises ainsi que les nouvelles dispositions communautaires concernant les quotas matières grasses obligent à porter une attention plus particulière à l’index Taux Azoté pour lequel un seuil minimum est retenu.
  • Les caractères morphologiques liés à la longévité :
    • solidité du système mammaire, capacité, membres, taille ;
    • l’aptitude à la traite: mesurée à la fois sur les candidates mères à taureaux et la descendance des taureaux.

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    Race bovine TARENTAISE  

    Origine, zone d'élevage et performances

    La race TARENTAISE porte le nom de la Haute Vallée Savoyarde où elle a pris naissance. Ses qualités lui ont permis de rapidement se développer dans de nombreuses régions montagneuses et difficiles, en France et à l’étranger, où elle offre une solution pertinente pour des systèmes d’élevage variés (valorisation de zones défavorisées, productions fromagères de qualité, système allaitant, amélioration de races locales à l’étranger.

    La TARENTAISE est implantée en France dans les Alpes et le Massif Central, avec un effectif de 30 000 têtes. Ses qualités de laitière rustique, reconnues mondialement lui ont permis de s’implanter dans 21 pays sur quatre continents.
     

    Effectifs 14 000 vaches dont 6 143 contrôlées
    Qualités laitières production laitière : 4 718 kg
    taux butyreux : 36,1 ‰
    taux azoté : 33,7 ‰
    Qualités bouchères poids de carcasse de taurillons ( 17 mois) : 290 kg
    rendement commercial : 56 %
    dépôts adipeux : 16%



    Aptitudes et utilisations

    La TARENTAISE est une laitière remarquable, souvent exploitée dans des conditions difficiles (été dans les alpages jusqu’à 2 500 m d’altitude en plein air intégral, alimentation hivernale à base de foin uniquement). Elle produit un lait riche en protéines et équilibré, particulièrement favorable aux fabrications fromagères auxquelles elle est associée: Beaufort (AOC), Tomme de Savoie, Reblochon (AOC).

    Ayant évolué depuis ses origines dans les rigoureuses montagnes de Savoie, la TARENTAISE se caractérise également par sa rusticité exceptionnelle : excellente adaptation à la marche, aux variations climatiques, bonne transformation des fourrages grossiers, longévité...

    Ses qualités de reproduction, fécondité, facilité de vêlage, sont très appréciées, en système laitier ou allaitant.

    Son potentiel viande intéressant (engraissement facile après tarissement carcasses à haut rendement, finesse du squelette...) et ses qualités maternelles font d’elle une très bonne allaitante, notamment en croisement avec des races bouchères.


    Schéma de sélection

    Au sein de l’UPRA TARENTAISE, l’ensemble des opérateurs (éleveurs, unités de sélection, groupements de producteurs, de reproducteurs, transformateurs de la filière Beaufort) travaillent en commun pour préparer l’avenir et répondre aux besoins du marché de demain.

    14 taureaux sont testés chaque année au prix de l’effort de testage le plus élevé de toutes les races françaises (1 taureau mis à l’épreuve pour 600 IAP). Un large choix de taureaux améliorateurs est offert aux éleveurs.

    Ce programme permet une amélioration des qualités laitières (production laitière, richesse en protéines, équilibre en matière grasse) tout en veillant à préserver la rusticité de la race TARENTAISE.


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    LA MAPPE SARDE

    ETYMOLOGIE
    Mappe du latin médiéval "mappa" signifiant nappe. C'est une feuille de papier collée sur un support solide portant le quadrillage cartographique sur lequel on fera un relevé. En rassemblant toutes les feuilles entre elles on réalise la carte d'un lieu ou la mappe sarde parce qu'elle fut décidée par le roi de Sardaigne qui régnait aussi sur la Savoie.

    HISTORIQUE
    La mise en chantier du cadastre savoyard, en 1728, répond à une exigence étatique de consolidation du pouvoir central. Plusieurs monarchies européennes, notamment la maison d'Autriche dans le Milanais et la République de Genève, avaient donné l'exemple ; mais point le France !

    Dans le comté puis duché de Savoie, l'impôt eut tout d'abord un caractère exceptionnel : lorsque le souverain voulait procéder à la levée d'un subside, il devait préalablement convoquer les Etats Généraux devant lesquels, il faisait savoir les raisons justifiant l'exaction demandée.

    Jusqu’en 1559 en Savoie, l’impôt est levé sans régularité, en fonction des besoins et pour une durée limitée. La base de calcul de l’impôt est le feu. L’évaluation globale du nombre de feux et des exemptions accordées aux pauvres permet une répartition par communauté, unité administrative de base.
    Le pouvoir central laissait aux communes une liberté à peu près complète pour procéder à la répartition des impôts à lever. Il est constat qu'en Savoie la répartition de l'impôt était injuste parce qu'arbitraire. Les syndics de chaque commune, après avoir procédé aux publications nécessaires, composaient en effet eux-mêmes les rôles, assistés de quelques notables sur la base de la valeur appréciée par eux, de chaque feu. Un édit de juillet 1564 crée un "droit de subside" qui est déterminé selon les ressources. La terre devient donc la base de la nouvelle contribution qui prend le nom de taille. Cet impôt conduisait nécessairement à l’établissement d’un cadastre. Le premier cadastre systématique est ordonné par un édit de 1601. Les livres fonciers décrivent les confins des parcelles, la superficie et le degré de bonté puis le chiffre de la taille. Ils s’accompagnent de livres de mutations, appelés livres de remesses ou de vires. Ces documents sont assortis de "cottets", listes ou rôles où figurent les noms des propriétaires et le montant des contributions.

    Les nobles et les ecclésiastiques, arguant de leurs privilèges, étaient pratiquement exemptés de toute contribution. De sorte que les charges publiques accablaient le peuple "d'en bas".

    En 1559, le Duc Emmanuel-Philibert recouvre ses états ruinés par l'occupation française (1536 - 1559) et les invasions bernoises. Ses besoins d'argent sont aggravés par le besoin de réorganiser les services publics. Il obtient des Etats Généraux de lever un impôt important, qui de subside extraordinaire se transforma en contribution ordinaire et annuelle. La perception de ce tribut est évidemment rendue malaisée par l'impécuniosité des populations assujetties à le payer.

    Charles-Emmanuel Ier voulut changer cet état de fait en signant l'édit du 27 mars 1584 sur la répartition de la taille en prenant pour base la propriété et cela eut pour conséquence la rédaction du premier cadastre, entrepris au commencement du XVIIe siècle. L'exécution en fut décidée par lettres patentes du 1er juillet 1601. Des commissaires furent envoyés dans chaque communauté pour dresser le rôle de la taille avec le concours du conseil et des notables de la paroisse. Les exemptions furent rigoureusement limitées au biens de l'ancienne noblesse et de l'ancien patrimoine de l'Eglise. Malheureusement, il ne reste pas trace de ce premier cadastre, sauf des droits d'exemption repris à la lettre dans la mappe de 1730.

    Le roi Victor Amédée II avait décidé d'imposer une remise en ordre fiscale, donc la réalisation d’un nouveau cadastre. L'innovation principale était la confection des mappes, cartographie généralisée des parcelles pour toutes les communes. Par lettres patentes du 9 avril 1728, l’intendant général fut chargé de la direction des opérations. On conserve d’autres cadastres systématiques en Europe au début du XVIIIe siècle, principalement en Prusse et en Angleterre, mais ils ne sont pas accompagnés de levés topographiques.

    CARACTERISTIQUES :

    Edit ordonnant la mise en place de la cadastration de la Savoie

    Fabrication de la mappe sarde (1738).

    Arpentage géomètrique détaillé, l'ancien cadastre, en avance sur toutes les réalisattions françaises similaires, porte la marque de son temps.
    Instrument juridique, la "mappe" sarde permet d'établir une présomption de propriété pour les détenteurs qui peuvent justifier d'une filiation d'inscriptions dans les documents.
    Les tabelles cadastrales constituent un énorme réservoir de noms de lieux (toponymes) et de noms de personnes (anthroponymes).

    Les cadastreurs ont tenu à prendre le mas comme base d'arpentage. Ces ensembles de parcelles semblent bien la survivance des manses, premières cellules d'exploitation sous l'époque gallo-romaine. Les mas d'une contenance moyenne homogène, sont, pour ainsi dire, toujours d'un seul tenant mais ne se composent que rarement d'une seule parcelle.

    On désigne sous le nom de cadastre les documents servant à la répartition de l'impôt en prenant pour base la propriété. L'origine de ce mot : selon certains du bas latin "Capistratum", registre de l'impôt par tête, pour d'autres le mot cadastre aurait désigné les pierres carrées employées pour les bornages ; pour d'autres encore, l'origine du cadastre remonterait à l'époque où l'on gravait des plans de bornage sur des feuilles de schiste appelées "cadettes" ou "cadasses". Les indicateurs : personnes capables d'indiquer les confins et les limites du territoire concerné et d'en indiquer les propriétaires par surnom et nom et si ceux-ci sont ou non exempts de droits.
    En outre chaque communauté devait également choisir "deux personnes de probité et d'expérience, capables pour estimer la qualité, bonté et fruits naturels des susdits fonds". C'étaient les estimateurs.
    Un estimateur d'office nommé par l'intendant général devait contrôler leur évaluation. Les terres, suivant leur nature furent divisées en trois catégories : bonne, médiocre et mauvaise.

    Les syndics furent rendus responsables pécuniairement dans tout retard éventuel aux opérations cadastrales (amende de dix écus).

    Lorsque la mappe était terminée, le délégué la faisait afficher pendant quinze jours et engageait les habitants à présenter leurs griefs.

    LA MAPPE ORIGINALE
    Le projet de mappe est très ambitieux : il s’agit rien moins que d’établir une mesure équitable, c’est-à-dire uniforme, des biens fonciers, par catégorie et par parcelle. Cette mesure est assise sur le produit brut et sur le produit net, déduction faite des charges et coûts de production.
    Plus de cent géomètres groupés en "escadres" participent à l’opération. Ils lèvent d’abord un plan rapide de la commune, puis confectionnent des "planchettes" en assemblant les levés parcellaires. La juxtaposition des planchettes constitue la mappe originale, à l’échelle 1/2372° (la mesure originelle est en trabucs, mesure du Piémont). Les levés sont effectués d’abord à l’équerre, puis selon la méthode de la table prétorienne. La surveillance technique confiée à un surintendant, (sous la direction d'un intendant général), chargé de centraliser les travaux des géomètres et d'en vérifier l'exactitude. Le géomètre était suivi en campagne d'un assistant ou porte-chaîne, appelé aussi trabucant du nom d'une mesure pièmontaise valant 3,082596 m, le trabuc, qui servait à calculer les longueurs. La chaîne du trabucant divisée en 32 pieds de Savoie, soit 4 toises de 8 pieds (10,86 m.). Il était accompagné par des auxiliaires indispensables : les indicateurs et les estimateurs.

    LE LIVRE DE GEOMETRIE
    Dressé par les indicateurs à l'usage du géomètre, le "livre de géométrie" énumère les parcelles dans l'ordre des numéros portés sur la mappe, (dans l’ordre d’arpentage), mas après mas, d'où son nom plus usuel de "livre des numéros suivis". Mention est faite pour chaque parcelle, de l'identité des propriétaires, de la nature des parcelles et de leur situation (en plaine, en montagne, en pente douce ou rude...), avec Pe Te (paye taille) et Pnt (présent). Présent, indiquant que la parcelle a été cadastrée dans la forme contradictoire, en la présence du propriétaire.

    LE LIVRE D'ESTIME
    Plus complet que le précédent, et établi sur les déclarations des estimateurs, ce livre reprend la désignation des parcelles par numéros suivis en les affectant d'un degré de "bonté" (chiffré de 0 à 3 dans l'ordre croissant de la valeur), et en estimant, pour chaque type de production, le rendement annuel en céréales, fourrages, bois d'oeuvre ou de chauffage. Le notaire était chargé de rédiger les procès-verbaux concernant la nomination des estimateurs et des indicateurs, la désignation des confins et tous les actes à conserver sous forme authentique.

    LE LIVRE DE CALCULATION
    Expédiées à Chambéry avec la mappe originale, ces informations sont recopiées sur deux mappes-copie légendées et coloriées au lavis (J.-J. Rousseau y a travaillé deux ans lors de son séjour à Chambéry chez Mme de Warrens). Un exemplaire est destiné à la paroisse, un autre aux Archives de Cour à Turin.
    Dès réception, par l'intendant du cadastre au siège de l'administration du Duché, des plans de la commune accompagné des livres de géométrie et d'estime correspondants, les calculateurs, travaillant à l'aide de la mappe, évaluent la surface de chaque parcelle et de calculer également, compte tenu des renseignements fournis par les livres susvisés, sa valeur et son revenu.

    TABELLE ALPHABETIQUE
    Après le travail sur le terrain, les calculateurs avaient le double soin, toujours à l'aide de la mappe, de vérifier la superficie de chaque parcelle et de déterminer leur valeur et leur revenu en prenant pour base le livre d'estime. Une tabelle préparatoire est affichée avec une copie de la mappe dans chaque communauté. Les griefs ou protestations sont consignés dans le cottet à griefs. Après étude et satisfaction il est enfin procédé à la rédaction de la tabelle, répertoire alphabétique des propriétaires par opposition au livre des numéros suivis (ordre des numéros).

    La tabelle nous donne les renseignements suivants sur une double page :

    • Le nom du propriétaire.
    • Le numéro de la parcelle.
    • Sa nature : champ, pré, verger, bois divers, broussailles, terrain inculte, vigne, jardin, maison, masure, grange et surtout châtaigneraie.
    • Le nom du mas.
    • Le degré de bonté indiqué par 4 chiffres : 0, 1, 2, 3.
    • La superficie en mesure du Pièmont : journal et toise carrée.
    • La superficie en mesure de Savoie : idem.
    • Et d'autres renseignements pour établir l'impôt, la taille.
    • L'exemption ou nom de l'imposition.


    Voici quelques notions indispensables pour établir la concordance des mesures de Savoie avec le système métrique.
    La grande unité de surface est le journal valant 500 toises carrées en Chablais.
    La toise carrée vaut 7,37 m² et le journal vaut 3685 m².
    Le journal représentait la surface fauchée par un homme en une journée.

    La valeur de chaque terrain était bien quantifiée en fonction de sa nature, ainsi la valeur de la vigne était évaluée en seytiers de vin, les broussailles en fascines, le bois perchette par douzains, le bois noir et le sapin par pièces, les châtaigniers, le seigle et le froment en quintal.Il y avait une différence entre le foin des marais et le foin des champs et des prés ou foin de boeuf !

    L'édit de péréquation qui rend exécutoire les travaux de la mappe précise le mode de paiement de la taille.

    En 1738 sur la commune de Lugrin, la communauté de Thollon, sans problème ni procès, était alors propriétaire d'environ 20 journaux. A la lecture de ces documents on a pu constater que les paroisses de Thollon et de Lugrin possédaient en indivis 5 parcelles au mas des Mémises. Parcelles sur la commune de Thollon qui seront en litige en 1858 :

    Commune de Thollon
    891 1/2 Blanchard rocher non précisé
    892 Blanchard broussailles 258J. 333,1
    894 Blanchard grange 13,7
    895 Blanchard pâturage 17J. 244,4
    Vittoz André
    2820 Mémises chalet 7,2
    Grand-Saint-Bernard
    2823 Mémises chalet non précisé
    Commune de Lugrin
    2824 Mémises chalet 23,3
    Indivis Lugrin Thollon
    2825 Mémises broussailles 91J. 374,2
    2826 Mémises rocher 14J. 071,1
    2827 Mémises pâturage 1252J. 210,4


    CONCLUSION
    La conservation du cadastre sera assurée par deux organismes : le conseil des habitants et le secrétaire de la communauté représentant le pouvoir central.
    Le secrétaire devra assurer la tenue de deux registres :

    • le premier appelé "journalier" indiquant "jour par jour" les mutations de propriété,
    • le second registre communal, appelé "livre de transport", comportant les noms de tous les propriétaires par ordre alphabétique.
    Il convient de noter cependant, que la conservation se faisait uniquement par les registres cadastraux et ne concernait point la mappe qui demeurait immuable.

    Le cadastre allait servir non seulement à fournir la mesure et marquer les limites de la propriété foncière, mais encore à prouver le cas échéant, un droit de propriété contesté, par le moyen des renseignements qu'il donnait sur l'état juridique de chaque parcelle. En effet, la mappe avait été dressée en présence des propriétaires au contraire des cadastres d'aujourd'hui.

    La France a toujours envié cette réalisation

    Instrument de gouvernement, le cadastre est cependant un outil des plus fragile. Très vite le cadastre sarde se heurta à la difficulté de suivre les mutations foncières.Incapable de suivre les mutations, le cadastre n’en restait pas moins, grâce à la mappe, une vue géographique très précise des parcelles et des confins communaux.

    La confection du cadastre avait par ailleurs entraîné de grands travaux de bornage. Si les bornes sardes, choisies sur le terrain ou posées de manière artisanale, n’ont rien à voir avec les bornes impériales françaises, le symbole était important dans les communautés montagnardes quand la richesse dépendait de l’étendue des pâturages.

    La mappe elle-même resta jusqu’en 1852 le seul instrument de référence pour les limites des parcelles. Les tabelles restées à Chambéry servirent pour préparer les ventes de biens nationaux. Dans certains contentieux actuels, il peut se produire que la mappe soit utilisée pour prouver la permanence et l’ancienneté d’une limite.

     

LES ANCIENNES MESURES

Mesures de longueur

La ligne       0,002357 m
Le pouce de 12 lignes       0,028280 m
Le pied de 12 pouces       0,339368 m
La toise de 8 pieds       2,714946 m


Mesures de surface

La toise carrée de 8 pieds de côté       7,370954 m²
Le journal de 500 toises carrées     3,685,4768 m²


Mesures de capacité pour les solides

La quarte moitié d'un 1/2 quart             2,935 litres
Le 1/2 quart           5,87   litres
Le quart d'Evian de 2 pots         11,74   litres
Le muits de 48 quarts       274,218 litres


Mesures de capacité pour les liquides

La chopine           0,303 litres
Le 1/2 pot de 2 chopines           1,128 litres
Le pot de 2 1/2 pots           1,212 litres
Le quarteron d'Evian de 2 pots            2,424 litres
Le baril de 16 quarterons         38,784 litres
Le char de 16 barils       620,544 litres


Mesures de poids

Le grain        0,053 g
Le denier de 24 grains         1,275 g
Le gros de 72 grains         3,824 g
L'once de marc de France de 8 gros        0,489 kg
La livre de 16 onces de marc de France
ou livre de Genève          0,550 kg
Le quintal de 100 livres de 16 onces       48,951 kg
Le quintal de 100 livres de 18 onces       55,069 kg

Le setier était une mesure utilisée pour les vins. Il comprenait 24 quarterons de 2 pots chacun, le quarteron valant 2,2 litres, et le pot 1.125 litre. 6 setiers faisaient un muid, et 12 un char.
Cette mesure était différente selon les lieux. Par exemple, le setier de Thonon valait 41,81 litres, celui d'Evian 38,70 litres, celui de Genève 54.13 litres.

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